L’ accord/non accord de Kyoto prendra fin en 2012. Pour décider de sa suite, la conférence de Durban, après celles de Bali, de Copenhague et Cancun, s’est terminée dimanche, au petit matin, avec une énième feuille de route qui n’engagera que ceux qui veulent bien s’engager. C’est à dire personne. Avec 11 % des émissions de gaz à effet de serre, l’Europe n’est de toutes les façons, à l’échelle planétaire, pas un acteur clé. Si nous nous déplacions à nouveau- dès demain- en voiture à cheval, cela ne changerait malheureusement rien. Sans la Chine, l’Inde et les Etats-Unis, responsables de la moitié des émissions dans le monde, point de salut, en effet, à court terme- on ne parle aujourd’hui plus de décennies- pour les pays autour de l’Equateur, les premiers concernés. Bref, les riches polluent, les pauvres trinquent.
L’urgence, c’était déjà hier
Cela fait presque trente ans que, de sommet en sommet, on annonce, sans se donner les moyens d’y remédier, le plan de route d’une catastrophe annoncée. Un début d’action globale, qui a donc été prévu à l’issue de ce sommet pour 2020, n’est- ce pas ridicule pour venir au chevet d’une planète où l’on a connu les treize années les plus chaudes de son histoire sur les quinze dernières années ? Et, même si les plupart des vacanciers trouvent qu’il toujours aussi fait frisquet en Bretagne en juillet, c’est un fait: Nous avons gagné 4 à 5 ° en France sur les derniers siècles, sachant que l’incidence de nos émissions d’aujourd’hui ne sera pas visible sur le climat avant…50 ans!
Et tandis qu’aux Etats Unis, certains crient à l’arnaque contre le lien établi entre la multiplications des catastrophes climatiques et le réchauffement planètaire et que les américains considèrent ce problème loin derrière le chômage ou la crise, un article du Guardian, en mai dernier, a montré que les émissions de gaz a effet de serre avaient atteint un niveau record en 2010, cela malgré la pire récession enregistrée depuis 80 ans. Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence Internationale pour l’Energie (AIE) qui réalisa ces études, estime désormais comme une «jolie utopie» de penser contenir le réchauffement climatique sans prendre des mesures drastiques. En effet, le seuil d’émission qui limiterait le réchauffement climatique à +2 degrés-niveau au delà duquel les scientifiques s’attendent au pire- est situé à 450 ppm (part per million) de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Aujourd’hui, on compte 390 ppm dans l’atmosphère. Pas besoin de sortir de polytechnique pour voir ou l’on va…
L’AIE n’est pas une ONG, c’est un organisme officiel qui étudie pour le compte des gros consommateurs les ressources énergétiques de la planète. Lors d’une réunion en octobre dernier, l’AIE faisait le constat que, face à l’augmentation attendue de la demande mondiale en énergie et du fait que les énergies fossiles -pétrole, charbon, gaz-en fournirait la majeure partie, on peut s’attendre à ce que la fenêtre de tir- pour ne pas finir en court-bouillon planétaire-c’est-à-dire pour mettre en place des sources d’énergies alternatives, se fermerait en… 2017. Autant dire demain.
Assistaient à cette réunion les ministres et représentants des membres de l’AIE : les Etats-Unis, le Japon, la Chine, les riches pays d’Europe, l’Inde, la Russie… On aurait pu espérer que ces prévisions, provenant d’une agence aussi éloignée du militantisme écolo qu’une multinationale pétrolière, eussent aidées les participants de Durban à trouver un terrain d’entente. Loin s’en faut puisque, même si traité en 2020 il y a, il sera mis en application entre 2020 et 2025 car, une fois signé, il devra être ratifié par chaque pays. Même avec la meilleure mauvaise foi du monde, 2020 vient après 2017, autrement dit un peu tard. Ce qui confirme le drame pour la planète: l’absence de lien entre l’échelle du temps et la carrière d’un homme politique…
Par ailleurs, ce qui se profile dans l’âpreté de ces négociations n’est pas seulement un aveuglement que certains oseraient qualifier de criminel, mais aussi un excellent révélateur des changements fascinants survenus ces vingt dernières années sur l’échiquier politique, économique et démographique mondial.
Des histoires de gros sous
L’Union Européenne, qui insistait pour un traité ambitieux, obligeant les Etats à faire face aux échéances climatiques, n’a pas “cette noblesse” de position sans raison… Les pays émergents, Chine et Inde en tête, sont désormais des concurrents dans de nombreux domaines et notamment celui des énergies renouvelables. Les Etats-Unis de leur côté n’ont, eux, pas signé les accords de Kyoto; libres de toute astreinte, même si un nombre important de grandes villes américaines ont décidé de respecter d’elles-mêmes les seuils établis par le traité. Aussi, c’est avant tout pour ne pas se retrouver avec un surcout global qui la défavoriserait économiquement- utiliser des énergies renouvelables pour l’industrie augmente le cout de revient- que l’Europe insiste aujourd’hui pour que tous se mettent sur la même ligne de départ. Mais, tout le monde ne voit pas la ligne de la même façon.
Le statut des pays émergents à changé en vingt ans. La Chine et l’Inde, chacune dopée par une croissance exponentielle, produisent désormais autant d’émissions que l’Europe et les Etats-Unis réunis. Si ces pays sont désormais de grandes puissances, leur géographie et leur population en font encore des pays «en voie de développement» mais, à la différence de pays exsangues où les institutions internationales peuvent imposer leur loi, l’Inde et la Chine ne veulent pas de critères contraignants qui pourraient cacher une intervention déguisée dans leur économie. Le Vénezuela s’est d’ailleurs violemment exprimé à Durban contre le Green Fund de 100 milliards de dollars qui a été voté pour aider les pays émergents à s’adapter localement aux changements climatiques. Sa déléguée disait en substance que les pays émergents ne se laisseront pas transformer en esclave pour si peu. La mémoire évidente du colonialisme ainsi que les exemples interventionnistes d’institutions comme le FMI et la Banque Mondiale justifient, aux yeux de ces pays, une prudence de raison. L’Inde a critiqué la position Européenne en disant qu’elle ne signerait pas de chèque en blanc. Etre astreint à quelque chose, pourquoi pas, mais à quelles conditions ? La Chine, de son côté, est en pleine bataille économique avec les Etats-Unis qui l’accuse de dumping dans le domaine … du solaire et des énergies renouvelables. L’Allemagne, elle, en a fait son nouveau cheval d’industrie… Inutile de dire que les intérêts économiques des uns et des autres ne sont pas faits pour faciliter la chose.
Et que tous ne sont pas égaux face au ” Global Warming”. Celui ci n’affecte pas seulement les petites îles du Pacifique qui risquent de disparaître suite à la montée des eaux, mais impacte directement la vie quotidienne de millions, de dizaine de millions d’Asiatiques, de Sud-Américains et bien évidemment, d’Africains.
Ne pas participer à un suicide collectif
Une réelle avancée pour un sommet du Climat en Afrique aurait été un beau symbole. L’Afrique est touchée de plein fouet, de façon directe par le changement climatique et indirectement par l’appétit de lointains voisins. La Banque Mondiale estime qu’en 2009, 60 millions d’hectares ont été achetés ou loués dans les pays émergents par des fonds souverains ou des multinationales. 60 millions d’hectares, c’est à peu près la taille de la France. L’Afrique est au premier rang de ces «exploitations» car le prix des terres est encore très abordable comparé à d’autres continents, surtout compte tenu des économies d’eau que des états comme l’Inde, la Chine ou l’Arabie Saoudite font sur leurs réserves en faisant pousser des légumes hors de leurs frontières. Cedric Lombardi, ivoirien et spécialiste des questions environnementales, décrit une situation alarmante : «La sécheresse et la désertification menacent le Centre et le Nord de l’Afrique de l’Ouest. L’an dernier, près de 10 millions de personnes avaient fait face à une situation d’insécurité alimentaire, dont plus de la moitié au Niger. Cette année encore, par le manque de pluie, la Mauritanie, le Niger et le Burkina Faso sont menacés d’insécurité alimentaire». Les ONG pointent par ailleurs, une situation aberrante voire obscène où des pays comme l’Ethiopie «louent» des terres aux multinationales alors qu’ils sont récipiendaires de l’aide internationale pour lutter contre la famine… Ce qu’il pense de Durban? « Que voulez-vous qu’on pense d’une feuille de route qui parle de 2020 alors qu’en 2007, on pensait qu’en 2009 tout serait réglé avec les sommets de Bali et Copenhague). Les négociations à l’ONU sont importantes mais l’Afrique ne peut plus hypothéquer son adaptation au changement climatique à l’évolution des négociations internationales. Je ne veux pas participer au suicide collectif. Cela fait trente ans que l’on subit le changement climatique en Afrique de l’Ouest. On en connait les conséquences en terme de famine, de sécheresse, de catastrophes naturelles. A nous de mettre en place le cadre juridique, la recherche scientifique et tous les éléments nécessaires pour s’adapter. Commençons par saisir les opportunités du changement climatique -énergies propres-développement local, commençons par balayer devant notre porte et quand les négociations aboutiront, nous pourrons les recevoir avec un paillasson propre.» Sa réponse au sommet consiste désormais à monter des projets. Il ne nous reste plus qu’à souhaiter bonne palabre aux négociateurs des COP (conférence climat) à venir et bonne chance à tous les Cédric en lutte contre le réchauffement climatique.
La terre, elle, continuera de tourner. Pas sûr, en revanche, que le nouveau climat ne nous convienne…
A voir pour la qualité de ses présentations et comprendre ces questions par la corne de l’Afrique:http://www.youtube.com/user/BeDevelopment- une série de présentations thématiques sur le réchauffement climatique, le traité de Kyoto et les enjeux de Durban diffusé par la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne. Chapeau bas pour la qualité des explications, le temps d’antenne accordé et une télévision qui remplit honorablement sa mission de service public.
(http://www.thepariser.fr/non-assistance-a-planete-a-danger/)