jeudi 12 janvier 2012

Jean Haëntjens, vers la ville frugale : “on n’a pas encore de futur de rechange aussi clair que celui qu’on abandonne”


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Jean Haëntjens, vers la ville frugale : “on n’a pas encore de futur de rechange aussi clair que celui qu’on abandonne”

Par Hubert Guillaud le 11/01/12 | Aucun commentaire | 308 lectures | Impression

jeanhaentjensJean Haëntjens est urbaniste et économiste et conseil en stratégies urbaines au cabinet Urbatopies auprès des collectivités locales et des administrations. Après Le pouvoir des villes (2008) et Urbatopies (2010), il vient de faire paraîtreLa ville frugale chez FYP éditions. Derrière ce concept, Jean Haëntjens cherche à rendre accessible une autre forme de ville durable que celle que nous proposent de bâtir bien des architectes avec des bâtiments à haute qualité écologique intégrés dans des écoquartiers qui sont loin d’être accessibles à tous, financièrement parlant. Quelle ville durable voulons-nous ? Quelles stratégies urbaines concrètes devons-nous adopter pour commencer à organiser la ville dans une perspective post-pétrolière ? C’est tout l’enjeu que tente de dessiner Jean Haëntjens dans un petit livre livre très stimulant sur la forme des villes à venir.

Le modèle de la ville frugale

InternetActu.net : Pourquoi, avec “la ville frugale” avoir eu besoin de définir un autre concept de ville durable ?

Jean Haëntjens : Invité comme intervenant depuis longtemps dans de nombreux colloques internationaux sur la ville durable, je me suis rendu compte que ce concept était flou et peu opératoire. Qu’il recouvrait des réalités très différentes. Quand un maire vous demande ce que c’est, personne ne sait répondre de manière précise. Aujourd’hui, le durable que l’on propose n’est guère accessible et finançable. Un quartier durable, doté de tous les gadgets (toitures végétalisées, panneaux solaires…) revient trop cher du mètre carré. Beaucoup de villes se sont endettées pour mettre en place des lignes de tramways surdimensionnées… Ce modèle-là n’est pas reproductible, n’est pas fait pour tous. Et ce, alors que depuis deux ans, on cherche à anticiper le fait que les finances des collectivités locales ne vont cesser de se resserrer.

On a parlé de ville post-Kyoto pour le projet du Grand Paris, sans savoir vraiment comment traduire ces apports. Le concept de ville intelligente, qui est un sous-ensemble de celui de ville durable, n’est pas non plus très adapté aux réalités financières locales. Le concept de ville frugale permet justement de faire attention : l’idée est de faire une ville durable avec nos moyens, adaptée au contexte actuel. La ville frugale n’est pas un fantasme pour dans 50 ans, elle n’a pas pour but de reporter les décisions, mais au contraire, de permettre de commencer aujourd’hui, avec nos moyens.

L’idée de ville frugale porte aussi en elle l’idée que cette transition qui s’annonce ne se fera pas dans la contrainte. La ville de demain doit être vivable et agréable. Car l’un des autres fantasmes de la ville durable consiste à augmenter la densité de population en enfermant des gens dans d’immenses tours pour qu’ils consomment moins d’énergie (même s’il n’est pas prouvé que l’entassement diminue notre consommation globale !). La ville frugale s’inscrit également en réaction à cela. Il était important de proposer un modèle plus cohérent et de proposer des pistes pour le traduire concrètement et directement pour expliquer aux élus et aux techniciens les choix que cela implique.

couv ville frugaleInternetActu.net : La ville frugale est un modèle pour “préparer l’après pétrole”, indique le sous-titre de votre livre. La civilisation de la voiture, sur laquelle s’est bâtie nos villes est en train de s’éteindre, expliquez-vous. Pourtant, vous n’êtes pas très radical sur l’effondrement de ce modèle. Vous expliquez, de manière très convaincante, que les villes de tailles intermédiaires doivent avoir l’ambition de ramener la voiture à moins de 50 % d’ici 2050, et qu’il faudra être moins ambitieux encore dans les villes plus petites, car l’essentiel de nos déplacements ruraux dépend de la voiture. Pourtant, à terme, la voiture est condamnée. Un jour il n’y aura plus de pétrole à mettre dedans ! Et il n’est pas sûr que nous trouvions les ressources alternatives pour en faire rouler autant qu’il en roule aujourd’hui…

Jean Haëntjens : Le réchauffement climatique ne parle pas aux gens. Certains l’ont contesté et il est difficilement maîtrisable à l’échelle locale : vous pouvez réduire vos émissions de carbone, mais si ce n’est pas le cas de la Chine ou de la ville voisine, ce n’est peut-être pas très motivant… Le film d’Al Gore, Une vérité qui dérange est un film d’épouvante, mais qui finalement n’a peut-être pas suffisamment d’impact direct : ceux qui l’ont vu ont repris leur 4×4 le lendemain. Il me semblait plus astucieux de substituer un objectif concret. Il est vraisemblable qu’on va avoir quelques soucis sur le prix du pétrole dans les années à venir. Imaginer un pétrole à 4 euros le litre, ça parle tout de suite aux gens. Si on ne relie pas la contrainte écologique à des contraintes très personnelles, on risque de parler dans le vide.

Les villes en transition sont parties sur cette idée. Comment le modèle urbain va-t-il résister face aux problèmes énergétiques à venir ? Dans la notion de ville frugale, il y a comment on se démerde. Car si on pense trop global, on risque de rester dans l’inaction. Mon souci a été d’être concret et de ramener à des réalités locales.

Le modèle de la ville frugale peut diviser par 4 la consommation d’énergie, ce n’est déjà pas si mal. C’est l’objectif du facteur 4 proposé par les pays européens consistant à diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Utiliser des véhicules moins gourmands en énergie pour rouler en ville permet de faire la moitié des économies. L’autre doit se gagner en utilisant des formes urbaines plus économes en espace pour économiser des déplacements. Bien sûr, l’objectif n’est pas hors de portée si on part d’un terrain vierge, mais il est évidemment plus difficile si on part de situations existantes et notamment si l’on part d’un périurbain très étalé tel qu’on le connaît chez nous.

InternetActu.net : En même temps, le terme de frugalité que vous utilisez est aussi celui qu’emploient les décroissants et le mouvement des villes en transition. Or, vous rejetez, dos à dos, tous les modèles : le village et la mégapole, la ville décroissante et la ville post-carbone, la smartcity (bourrée de technologies), la greencity, la ville créative, la ville résiliente… En même temps, la ville frugale empreinte aussi à tous ces modèles… En quoi la ville frugale que vous proposez est-elle un modèle original ?

Jean Haëntjens : La ville frugale est à la fois compatible avec la plupart de ces modèles et en même temps en opposition avec nombre d’entre eux. Elle n’est pas compatible avec la caserne écologique que certains urbanistes imaginent, car la frugalité ne se départit pas du plaisir. Elle n’est pas vraiment compatible avec la ville high-tech, économiquement inaccessible, ni avec la croyance que le marché va finalement tout réguler, permettant aux plus riches d’avoir le 4×4 et la voiture électrique et limitant les déplacements des plus pauvres. Elle n’est pas non plus compatible avec le modèle où l’on pense que l’argent public permettra de résoudre tous les problèmes. Chez certains militants, c’est au pouvoir public d’investir… Il me semble que ce n’est pas forcément très écologique de faire rouler des bus vides et de dépenser au-dessus de ses moyens. En fait, il n’y a pas un modèle de ville frugale.

L’idée est de proposer des modèles accessibles économiquement et correspondants aux attentes des usagers. Certains urbanistes proposent de réduire la mobilité ou de réduire la surface des logements… Mais ce sont des fantasmes qui ne correspondent pas à la réalité de vie moderne. Réduire les trajets domicile-travail n’est pas raisonnable, car les gens n’accepteront pas de vivre en autarcie. Pour autant, je ne m’inscris pas dans une option décroissante. Si énergétiquement elle est importante, je ne suis pas dans une option de repli économique, comme le proposent les villes en transition par exemple.

InternetActu.net : Dans votre livre, vous évoquez assez peu la technologie ou la participation, hormis là encore pour les rejeter, pour les renvoyer l’une à l’autre. A la Fing on a longtemps utilisé le concept de Villes 2.0 pour réintroduire justement dans la ville deux impensés : la technologie et la participation (la cocréation). Quelles sont leur place dans la ville frugale ?

Jean Haëntjens : J’ai effectivement peu évoqué la technologie, peut-être parce que je suis mal à l’aise face au fantasme de croire que tout va se résoudre grâce à la technologie. Or, si on y regarde bien, les technologies utilisées par les villes sont des technologies “moyennes”. Velib (Wikipédia) est un vélo mixé avec un peu d’électronique. Un vélo en location classique, à un guichet, n’aurait pas marché. Je crois beaucoup à ce type de mariage technologique. Mais je ne crois pas que les villes soient pour autant des endroits où vont s’inventer les technologies de demain. Elles sont bien plus adaptées pour faire de l’innovation technico-sociétale. C’est la forme d’innovation des villes depuis toujours, comme nous l’expliquait l’historien Fernand Braudel. Creuser un canal n’était pas nouveau, mais l’adapter à un usage social, politique et économique, comme l’a fait Venise par exemple, ça ça l’était. On ne fera pas d’innovation fondamentale en ville. Mais on voit chaque jour beaucoup d’innovation sociotechnique, comme le montre InnovCity. Les villes font beaucoup de transferts de technologies entre elles. Les maires regardent ce que font les autres. Il y a une grande avidité d’innovation…

Sur la participation, j’en ai peu parlé dans cet ouvrage, car j’en avais beaucoup parlé dans le précédent. Pour agir sur le modèle urbain, il est nécessaire de réunir trois pôles : des élus qui ont des convictions, une ingénierie transversale (une structure technique de type agence d’urbanisme ou société d’économie mixte) et un dispositif de concertation et de cocréation avec différents cercles d’acteurs. Je crois beaucoup à la diffusion d’une culture du changement, au dialogue constructif avec le grand public. Pour autant, la ville durable porte en elle la croyance qu’on peut remplacer le top down par le bottom up. Mais on sait qu’il faut les deux. Pour qu’un dialogue soit constructif, pour que la concertation publique fonctionne, il faut proposer une idée au public, donner une direction, avoir une vision. Sinon on risque surtout de se retrouver face à un catalogue de demandes individuelles…

Peut-on changer la ville ?

InternetActu.net : L’innovation urbaine est souvent évoquée par un collectif d’exemples toujours stimulants, de bonnes pratiques, mais qui peinent à faire système et parfois même modèle. On évoque les quartiers réussis (les écoquartiers) et on stigmatise les autres. On parle des exemples emblématiques (Curitiba (vidéo), Copenhague (vidéo) !), sans parvenir nécessairement à les reproduire ailleurs (du fait de leurs spécificités mêmes). On parle de ceux qui réussissent à se transformer, sans évoquer tous ceux qui n’y arrivent pas ou n’essayent même pas. Est-ce que les bonnes pratiques et les bons exemples peuvent être un moteur de l’innovation urbaine ? Peut-on transformer la ville sans changement systémique ?

Jean Haëntjens : Personne n’a vraiment de système. Pourtant, on tente tous de le changer. Mais c’est très long. Haussmann a mis un demi-siècle à transformer Paris. Il a démarré en 1850 et le métro est arrivé avec le XXe siècle. Et pourtant, à l’époque, il y avait peut-être moins d’inertie… Pour changer un système urbain, il faut un demi-siècle. On a commencé au début des années 90, et on en a encore pour 40 à 50 ans. On est dans la phase de présystème. Aujourd’hui, chacun bricole des solutions ponctuelles. Il y a très peu de modèles. Vancouver pense en avoir un avecl’écodensité, mais toutes les villes du monde n’ont pas un front de mer qui le permet. Aujourd’hui, on réinvente à chaque fois. Notre process de fabrication de la ville européenne est très très lent, par rapport aux process de Chine ou de Dubaï, et de leurs villes qui n’existaient pas il y a 20 ans. On n’en est pas encore au modèle. D’ailleurs, le modèle de la Chine ou de Dubaï n’a pas fait d’étincelles : on n’a guère envie que nos villes leur ressemblent.

On est aussi traumatisé par nos modèles précédents, celui de la ville moderne. Les urbanistes ont un peu peur de refaire les mêmes erreurs, ce qui explique leur prudence par rapport aux modèles. Pourtant, le modèle va être nécessaire. Mais il est difficile, car on ne réinvente pas une ville à partir de rien, et que ces projets qui appellent à s’étaler sur un demi-siècle ne cadrent pas avec les durées des mandats politiques…

InternetActu.net : Hormis quelques réussites (vous citez une quinzaine de cas de villes françaises), une poignée d’écoquartiers (112 d’ici fin 2012 dites vous), et malgré une politique volontariste, il y a guère d’aménagement du territoire en France. Depuis 30 ans, partout, en France, en Europe, ne s’est développé que l’habitat pavillonnaire et les centres commerciaux périphériques, comme le soulignait l’excellent article de Télérama intitulé“Comment la France est devenue moche”. L’urbanisme de la voiture, ce Junkspacequ’évoque l’architecte et urbaniste hollandais Rem Koolhaas, semble l’avoir partout emporté. Les réussites urbanistiques sont-elles condamnées à demeurer des “expérimentations” isolées ?

Jean Haëntjens : C’est vrai. Sur l’habitat périurbain, qui représente 40 % de la construction en France, rien n’a changé pour l’instant. Et rien ne changera tant qu’on ne touchera pas à la logique fondamentale permettant de maîtriser la question foncière des centres-villes. Les gens partent en périurbain pour avoir un terrain à prix abordable. Quand on observe les premiers Schémas de cohérence territoriale mis en place par les lois Voynet de 1999, on constate que peu nombreux sont ceux qui ont bridé la constructabilité en périphérie des villes. Mais cela devrait commencer à être plus effectif à partir de 2014 et 2015. Cela suppose d’alléger les règlements d’urbanismes des centres, afin d’encourager les gens à y densifier l’habitat. Mais c’est une très longue inertie que de changer cela.

La logique sociologique peut aider également. Le modèle familial qui allait avec le pavillon lointain a changé. La famille nucléaire ne représente plus que 30 à 40 % des ménages. Les familles monoparentales, les retraités et les célibataires ont envie de services urbains plutôt que d’un jardin.

Mais à mon avis, c’est le prix de l’énergie qui va le plus faire changer le modèle. En 2008, les banques ont arrêté de prêter à des ménages qui empruntaient pour construire une maison à plus de 20 km de leur travail, car elles intégraient le coût des déplacements dans le calcul de solvabilité. Un économiste américain a expliqué qu’une des raisons de la crise des subprimes était liée à l’augmentation du prix du pétrole qui a pesé sur les ménages les moins fortunés, les plus éloignés des centres-villes… Selon lui, la sensibilité au prix du carburant a été l’élément déclencheur. Il est possible qu’il soit également à l’avenir l’élément déclencheur. S’il n’y a pas une contrainte sur les prix, on ne changera pas de modèles urbains !

InternetActu.net : Ce qui est très stimulant dans votre ouvrage, c’est la manière dont l’urbanisme semble avoir compris la mobilité pour dessiner des villes plus adaptées à la transition écologique qui s’annonce. Vous expliquez très concrètement quels sont les facteurs qui ont un impact sur la diminution des déplacements en voiture. Le rôle de la proximité des services publics, des commerces, des espaces publics et des noeuds de transports (au détriment de la polarisation des activités). Vous montrez combien chaque rond-point construit favorise l’usage de la voiture (et pourtant, on en a construit beaucoup en France)… On a l’impression qu’une “science” de l’urbanisme a vu le jour qui vient contrebalancer les délires d’urbanistes peu outillés de la compréhension de nos sociétés, qui ont prévalu jusqu’à présent. Voit-on poindre une “science” urbaine qui va permettre de construire de meilleures villes, de soigner nos villes malades ? Capable de comprendre l’impact d’une construction sur la ville ?

Jean Haëntjens : Je parlerais plutôt d’une pratique que d’une science. La différence entre l’urbanisme pratique et l’urbanisme d’architecte, c’est la modestie. Il y a 40 ans, le génie de Le Corbusier dessinait la ville de demain. Aujourd’hui, on fait du tissage à plusieurs. On essaye. On se trompe. On est sur une approche plus modeste, pluridisciplinaire. Depuis 30 ans, l’urbanisme a cessé de réfléchir au seul plan pour introduire d’autres paramètres et notamment des paramètres culturels. Les villes qui bougent comportent beaucoup d’éléments liés à l’imaginaire, à la vision collective que les habitants ont de leur ville.

L’urbanisme n’est pas une science, heureusement. Si la ville était complètement modélisable, ce serait dangereux. Certains ont cru que c’était une science. Certains ont cru qu’on pouvait faire de la ville une machine comme une autre. Ca a été un échec sanglant. Je crois qu’on obtient plus de résultats par la modestie du bricolage que par l’arrogance du génie.

Mon livre se destine à des élus locaux, à des techniciens qui cherchent des outils pratiques. En dessous de 3000 hab/km², on ne fait pas passer de bus, par exemple. Pour desservir des villes avec des transports collectifs, il y a des seuils. La ville n’est pas une machine, mais il y a des machines dans la ville qui fonctionnent avec certaines règles. Les écoquartiers en ont respecté beaucoup, mais il leur manque parfois quelque chose. Les écoquartiers sont des machines écologiques dans lesquelles on ne voudrait pas toujours poser son sac. Une ville c’est comme une casserole, il faut que cela se culotte un peu…

InternetActu.net : Ce qui est intéressant, c’est que vous partez d’une analyse très précise des mobilités, de la densité, des échelles pour reposer des questions d’urbanisme, d’organisation de la vie et donc de la ville (et pas l’inverse). Est-ce à dire que le déplacement est resté longtemps l’impensé de l’urbanisme ?

Jean Haëntjens : Oui. Les transports ont été pensés, mais pas la mobilité. On a raisonné en terme de machine, de vitesse. 80 km/h c’est mieux que 40 km/h ! Or, le problème n’est pas la vitesse de déplacement, mais le fait de pouvoir remplir un certain nombre de demandes dans la journée. Si la ville est bien organisée, on peut le faire à pied, comme l’a souligné le directeur de la prospective de la RATP, Georges Amar dans son livre. En voiture, on ne peut pas s’arrêter si l’on croise un ami, à pied, si. A pied, le mode de transport est lent, mais il est plus riche. La mobilité doit raisonner en terme de nombre de contact et pas seulement en terme de vitesse. D’où l’importance qu’on voit poindre aujourd’hui d’enrichir les noeuds de transports, en mettant par exemple des centres culturels dans les gares.

La ville frugale, un modèle d’avenir ?

InternetActu.net : Reste que la planification urbaine n’a cessé de se tromper. Celle des grands ensembles, celle des villes nouvelles… Les écoquartiers sont-ils une forme de perfection urbanistique et pour combien de temps ?

Jean Haëntjens : Il y a 20 ans, on imaginait adapter le tissu urbain à la modernité voulue : celle de la voiture. Aujourd’hui, on se rend compte que cet avenir n’est pas le bon. Mais on n’a pas encore de futur de rechange aussi clair que celui qu’on abandonne. Los Angeles, qui était le modèle de la ville d’avenir adapté à la voiture, n’est pas une ville durable.

Il ne faut pas arrêter la planification, même s’il faut en finir avec la logique d’étalement urbain qui y présidait. Il ne faut pas arrêter la planification, car les villes ne vont pas se construire demain sans cohérence, sauf à faire des villes à l’américaine : où l’on met une autoroute et on laisse les promoteurs faire. Il est nécessaire de conserver une stratégie. Les villes intéressantes, on assoupli leur planification pour adopter un plan guide comme à Nantes. Il y a une trame, mais on peut changer les choses. La ville de Nantes a ainsi donné naissance à un quartier de la création qui n’était pas prévue au départ… On ne peut pas se passer d’une vision, d’un canevas d’infrastructures…

InternetActu.net : Beaucoup des pistes que vous esquissez sont à contre-courant de ce qu’on constate encore dans l’urbanisme contemporain. La polarisation des activités ne cesse d’augmenter plutôt que de se réduire (les zones d’activité ou zones commerciales notamment). On est loin de transports collectifs à haut niveau de services et d’un bon maillage en réseaux de transports et de services en dehors des très grosses villes : celles peut-être qui en ont le moins besoin d’ailleurs… Or on continue à concentrer les services (pour faire des économies d’échelles notamment) et le réseau de transport à tendance à favoriser les déplacements lointains que les déplacements proches (offre TGV plutôt que TER). Est-ce à dire que notre société est loin d’avoir pris la mesure du changement à venir ?

Jean Haëntjens : En France, on souffre de la centralité parisienne. Paris, c’est 12 millions d’habitants et 1200 communes… sans aucun patron à sa tête. Le système fonctionne tout seul. Ce sont les promoteurs qui font désormais Paris. Il n’y a plus rien à décider dans Paris intramuros d’autant que dans 20 ans, avec un prix au m² de 10 000 euros, il n’y aura plus de classes moyennes à Paris. Pour répondre à cela, nous avons besoin d’une prise de conscience qui n’est hélas pas encore arrivée au niveau des décideurs.

InternetActu.net : Votre ouvrage fait également une part belle au désir, c’est-à-dire vise à réintroduire du désir plutôt que d’être conduits par des choix liés à la catastrophe qui s’annonce. Vous mettez au centre de votre réflexion ce que les gens désirent. Attribuer une moindre place à la voiture, privilégier un habitat qui ne soit pas hyperdense ni trop lâche : ni l’immeuble, ni le pavillon, mais le modèle de l’îlot. Est-ce à dire que le risque du développement durable est d’oublier le désir, comme le suggérait Daniel Kaplan ?

Jean Haëntjens : La ville ne répondra pas aux désirs de tout le monde, même si les gens voudraient à la fois la campagne et les services. Tout le monde est prêt à renoncer à certains avantages si on lui propose des compensations. Il y a une souplesse, mais elle n’est pas extrême. On ne mettra pas les gens qui sont en maison individuelle dans des immeubles. Pour autant, ont-ils tous besoin de 1000 m² de jardins ? Tout cela est affaire de réglages personnels. Mais la ville doit offrir un niveau de qualité attractif. On ne pourra inverser un modèle uniquement par la contrainte, comme le proposent les péages autoroutiers. A Copenhague, 35 % des gens utilisent leurs vélos, et l’utilisent même sous la neige. Ils ont supprimé 5000 places de parking pour développer les terrasses de café. L’idée est bien celle d’une motivation positive. Le plaisir est une fonction de la ville. Nous avons besoin de plaisirs urbains. La ville doit offrir quelque chose en plus, ne pas proposer seulement un métro bondé de gens qu’on ne connait pas serrés comme des sardines. On ne réintroduira pas de la densité urbaine sans plaisir. Nous avons besoin de penser le charme, la capacité de rencontre, qu’on a parfois perdu dans des villes plus modernes, et qu’on n’a pas forcément trouvé dans la France des lotissements pavillonnaires.

Propos recueillis par Hubert Guillaud le 09/01/2012.

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