2014 sera-t-elle l'année de l’internet des choses ?
Crédit Reuters
Atlantico : Qu'est-ce que cela implique vraiment pour nous comme pour l'internet ? Faut-il voir là une basculement majeur dont on doit s'inquiéter ou une finalité prévisible ?
Bertrand Duperrin : Le fait que les objets connectés génèrent davantage de données que les humains est logique et prévisible. A partir du moment où l’on connecte les objets c’est une issue inéluctable. D’abord parce qu’un jour les objets seront aussi ou plus nombreux que nous. Ensuite, parce les objets sont en quelque sorte les « senseurs » de nos activités. Ils génèrent potentiellement des données en permanence sur leur utilisation, leur environnement « physique », leur localisation etc. In fine, il est logique qu’ils finissent un jour par générer davantage de données que nous.
L’enjeu majeur que cela pose d’un point de vue purement technique est de gérer cette masse croissance d’objets et l’afflux de données qui est son corollaire. Mais cela a été fait.
Quand à parler de basculement majeur je dirais « oui et non ». Non, car d’un point de vue strictement technique on a juste une augmentation du nombre d’émetteurs de données et du volume de données. La donnée n’est qu’une suite de 0 et de 1, objets et technologies ne valent qu’en fonction de ce qu’on leur demande, de ce qu’on en fait. Le basculement ne touche pas tant la dimension technique que les usages : que peut-on et va-t-on faire de ces données ? Internet a toujours eu pour vocation de connecter les gens pour partager l’information, en y ajoutant les objets on ne fait qu’ajouter des capteurs et des émetteurs nouveaux, il n’y a rien à en craindre. Par contre, c’est au niveau de la centralisation et de l’usage de ces données que se déplace l’enjeu, pas sur les objets eux mêmes.
Finalement c’est à la fois une finalité prévisible qu’un basculement qu’on peut craindre si on laisse faire et n’importe quoi.
Cela veut-il dire que les humains perdent le contrôle du web ou simplement que nous y ajoutons des relais ?
L’objet connecté ne fait pas perdre le contrôle du web à l’humain. Au contraire, il renforce le périmètre de son champ d’action. Si perte de contrôle il y a elle est liée au traitement des données collectées et partagées par les objets et à la partie « décisionnel » qui lui est liée. L’objet n’est finalement qu’un terminal sans grande intelligence au bout d’une chaine. L’intelligence du système est au niveau de la récupération et du traitement des données et là il peut y avoir perte de contrôle. Pas par l’humain qui, in fine, est celui qui conçoit le dispositif en fonction de sa propre finalité, mais par l’utilisateur final qui va se retrouver face une à une boite noire qui va concentrer et traiter des données issues de ses objets et de ceux des autres. Il espère en retirer une valeur ajoutée, un service, mais on pense que le retour en vaudra la peine on ignore encore quelle sera l’étendue du prix à payer.
Beaucoup de gens s'inquiètent du développement de cet internet des objets pour de multiples raisons. Mais le "tout-internet" est-il vraiment pour demain, pour 2014 ? A quelle horizon peut-on imaginer la vie totalement connectée qui terrorise certains et fait fantasmer les autres ?
On est dans une logique exponentielle. Plus on avance en la matière plus on accélère, plus les objets prolifèrent et les usages se développent. Ce qui est était une chimère il y a trois ans est réalité aujourd’hui donc le "tout connecté" est proche. Sans envisager le 100% d’objets connectés, on peut arriver à une masse critique d’objets potentiellement connectés sur les usages essentiels d’ici moins de 5 ans. En tout cas dans les pays « avancés ». Je dis potentiellement connectés car, comme vous le mentionnez, cela ne va pas sans craintes, des craintes qui vont grandir au fur et à mesure que le phénomène se généralise. Il peut y avoir un certain fossé entre ce qui sera possible de fair et ce qui sera fait. On peut envisager une période transitoire avec des usages à deux vitesse, entre ceux qui s’engouffreront totalement dans la digitalisation et la connexion de leurs vies, objets et activités et ceux qui seront frileux et précautionneux. Mais à terme on peut se demander si on aura encore le choix. On peut même imaginer qu’une partie de ces objets soit imposée par les pouvoirs publics, les compagnies d’assurance voire ne puissent s’utiliser en mode déconnecté.
Il se dit notamment qu'il reste à résoudre pour l'internet des choses le défi du langage commun, qu'il lui "manque son HTML". Est-ce le seul défi qu'il reste à relever ? Sinon quels sont les autres ?
C’est peut être un défi au niveau des objets eux même mais au final ça reste de la donnée. Donc pas le plus difficile à relever. Les deux grands défis seront plus systémiques.
D’abord, il s’agira de donner de l’intelligence au système. Connecter c’est bien mais pour quelle proposition de valeur ? Quels services ? Quels bénéfices à la fois pour les utilisateurs et les fournisseurs de technologies et services ? L’objet est le bout de la chaine, ce qui compte est son intégration dans un dispositif d’intelligence collective, une sorte de cerveau global ou de Big Brother selon la vision qu’on a des choses. Le premier enjeu sera donc du coté du décisionnel, business intelligence et cette notion aujourd’hui fourre-tout de Big Data.
Le second sera lié à la confiance qu’on met dans le système. Du cerveau global utile et servile à Big Brother la frontière est mince. Sans éthique de la part des opérateurs ni de régulations appropriées on peut voir monter la défiance des utilisateurs ou assister à un dévoiement total du système. Voire les deux.
Androïd apparaît comme un option viable pour uniformiser l'internet des choses. Peut-on tabler la dessus ? Quelles en seraient les conséquences pour les marchés interconnectés des équipements informatiques, des objets connectés, des fournisseurs d'accès etc. ?
On peut se demander s’il est souhaitable et même utile d’uniformiser les choses au niveau des périphériques. Le besoin de cohérence est sur les formats d’échange et le traitement des données. Le périphérique finalement est secondaire et doit le rester. On doit pouvoir connecter son objet à un « système » indépendamment de son système d’exploitation, de son fabricant sinon on perd des deux cotés. On perd du coté des utilisateurs qui doivent adapter en permanence leurs outils à une offre de service qu’on imagine évoluer rapidement et fréquemment, on perd également du coté des industriels qui en cas de marché fragmenté n’arriveront pas à atteindre une masse critique d’utilisateurs pour tirer quelque chose des données.
Plus généralement, quelles sont les opportunités économiques de l'Internet des choses ? S'agit-il d'un eldorado ou simplement d'une transformation technologique ?
C’est plus une évolution qu’une transformation technologique. Par contre, sans parler d’eldorado, il y a un potentiel économique de premier ordre à deux niveaux. D’abord au niveau des objets eux-mêmes, avec un renouvellement des parcs à envisager dans un horizon très bref. On parle aussi bien d’objets communicants connus que d’objets de la vie de tous les jours, du chauffage à la cafetière. Ensuite, au niveau des prestataires de service. Quelle valeur, quel service proposer à l’utilisateur final une fois qu’on a les données des objets, qu’on peut les benchmarker avec ses propres usages et ceux de millions d’utilisateurs voire les corréler avec des facteurs extérieurs. Ici le potentiel est énorme mais les business models sont encore à inventer.
La limite du « web 2.0 » ou web participatif était justement lié à la participation active des utilisateurs. Les objets connectés en devenant les senseurs de tout ou partie de nos activités vont permettre la participation passive et ouvrir un nouveau champ des possibles. Avec tout le potentiel et les risques qui vont avec.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventurehttp://www.atlantico.fr/rdv/minute-tech/2014-sera-t-elle-annee-internet-choses-bertrand-duperrin-951986.html
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Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrin est directeur au sein du cabinetNextmodernity et blogeur. Il est un des spécialistes français de l’évolution conjointe des modes de travail et des technologies.
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