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Internet : comment on communiquait il y a 18 ans
En 1995, quand on communiquait en ligne, c'est plutôt en 1400 signes qu'en 140. Et si on voulait être lu, mieux valait connaître les recommandations en vigueur. Petite plongée dans une époque peut-être révolue, pour le meilleur et/ou pour le pire.
Ce matin, j'aurais pu commencer par le Oppo N1 qui sort sous Cyanogenmod, ou encore le Jailbreak d'iOS 7, mais en faisant défiler ma timeline Facebook, je suis tombé là-dessus :
Un rappel des règles en vigueur pour communiquer en ligne en 1995 (attention pour ceux qui cliqueront, c'est du brutal), posté par un de mes contacts Facebook, de la même génération internet que moi : ceux qui ont mis les mains dedans à partir du milieu des années 90 (oui, 1990). Soit bientôt 20 ans. Soit presque (normalement) une majorité. Et comme d'habitude, ça a fait tilt. De la même manière qu'à chaque fois que nous en discutons, que ce soit entre dinosaures du web, ou avec ceux qui ont successivement débarqué, tout d'abord entre 2000 et 2005, puis à partir de 2010. Bref, un choc de trois générations à la mesure de la vitesse internet : la génération BBS / Netscape, la génération Google/Firefox, la génération Twitter-Facebook/applications-jmentapedubrowser.
C'était mieux avant... Vraiment ?
J'ai de nombreuses fois tenté de remettre en perspective la façon dont nous accueillons les innovations high-tech et web d'aujourd'hui comparées à celles d'hier. Et on constate souvent que si les choses évoluent, les vieilles recettes changent finalement assez peu... Mais s'il y un domaine ou les outils et les innovations ont profondément changé le fond et la forme de nos communications, c'est bien le web. Tout y a concouru : les connexions, les machines, les outils. Le point n'est pas de dire si c'est "pire ou mieux qu'avant". Mais à l'heure où l'on voit des responsables publics censés être les gardiens d'une parole raisonnée permettant un débat constructif se comporter comme n'importe quel adolescent aux hormones en ébullition, réagissant à chaud et tweetant à tout-va sans aucun recul, et prenant plus soin à l'impact instantané de 140 signes bien tournés plutôt qu'au problème en question lui-même, on peut vraiment se poser la question.
Cette question, je me la pose souvent lorsque je retombe sur le document exhumé par mon contact Facebook ce matin. Du coup je suis allé rechercher sa version française, toujours bien en ligne. Elle témoigne de l'utopie de l'époque : construire un réseau d'échange et de confrontation d'idées, hors du cadre connu qui se résumait à un canal descendant : l'auteur vers le lecteur, et point-barre. Un réseau permettant non seulement à tous de s'exprimer, mais aussi d'interpeller les "faiseurs d'informations", et en plus ailleurs que dans leur propre maison bien confortable. Mais un réseau utilisé en toute connaissance de cause, avec des règles à respecter, des codes parfois très étroit. Voici une petite sélection, un "best-of", notamment en matière d'échanges d'e-mails (à comparer savoureusement avec l'usage des SMS et autres apps de chats aujourd'hui) et d'utilisation des groupes de discussion (archives chez Google notamment), à comparer également à ce que sont devenus Facebook ou Twitter.
Les règle d'utilisation du web... rappel nécessaire ?
On commencera par les recommandations d'utilisation générales, et cette introduction qui pourrait finalement tout résumer : "Dans l'histoire récente de l'Internet, le Réseau a explosé avec de nouveaux et divers services d'information. Gopher, Wais, World Wide Web (WWW), Multi-User Dimensions (MUD), Multi-User Dimensions qui sont Orientés Objet (MOO) sont quelques uns de ces nouveaux espaces. Bien que la possibilité de trouver de l'information croît de manière explosive, "Caveat Emptor" reste de rigueur"(...). Oui, ça utilisait des locutions latines dans les recos internet (comme dans Star Trek, d'ailleurs).
- Souvenez-vous que tous ces services appartiennent à quelqu'un d'autre. Les gens qui paient les factures établissent les règles qui en régissent l'usage. L'information peut être libre - ou peut ne pas l'être ! Vérifiez bien. Point assez savoureux en ce moment...
- Si vous avez un quelconque problème avec toute forme de service d'information, commencez par résoudre le problème en vérifiant localement : vérifiez les fichiers de configuration, les paramètres du logiciel, les connexions réseau, etc. Faites cela avant de supposer que le problème est du côté et/ou de la faute du fournisseur. Oui, à l'époque, on mettait les mains dans le cambouis... Peut-être aussi parce qu'on le pouvait.
- Soyez conscient des conventions utilisée pour fournir de l'information au cours des sessions. Les sites FTP ont généralement, au sommet des répertoires, des fichiers appelés README et qui contiennent de l'information à propos des fichiers disponibles. Mais ne supposez pas que ces fichiers sont nécessairement bien à jour et/ou exacts. Le meilleur moyen de reconnaître un vieux schnock de l'internet : il lit le README.
- Ne supposez qu'aucune information que vous trouvez est à jour et/ou exacte. Souvenez-vous que les nouvelles techniques permettent juste à n'importe qui de devenir un éditeur, mais tout le monde n'a pas découvert les responsabilités liées à la publication. No comment.
- Souvenez-vous que, à moins d'être sûr qu'une technique de sécurité et d'authentification est utilisée, toute information que vous soumettez à un système est transmise "en clair" sur l'Internet, sans protection contre les "renifleurs" ou faussaires.
- Comme l'Internet embrasse le globe, souvenez-vous que les services d'information peuvent refléter des cultures et styles de vie franchement différents de ceux de votre communauté. Des choses que vous trouvez choquantes peuvent provenir de régions où elles sont acceptables. Restez sans parti pris.
Je terminerai avec celui-ci, assez hallucinant aujourd'hui : "Tenez compte de l'étalement de la charge des systèmes sur les sites célèbres, en évitant les heures de pointe et en vous connectant en période creuse."
Le Chat était tout sauf lol
À cette époque, pas de Twitter, Kik, et autres services de discussion privées ou publiques, il y avait des logiciels tels que ICQ : que des outils bien rugueux à la prise en main. Reste que leur définition est toujours à peu près d'actualité, en revanche, leurs règles un peu moins... "Talk est un ensemble de protocoles qui permet à deux personnes de tenir un dialogue interactif via ordinateurs."
- Utilisez des majuscules et minuscules, et une ponctuation appropriée, tout comme si vous tapiez une lettre ou envoyiez du courrier électronique.
- Dites toujours un au revoir ou autre adieu, et attendez de voir l'adieu de l'autre personne, avant de terminer la session. Ceci est particulièrement important lorsque vous êtes en communication avec quelqu'un depuis longtemps. Souvenez-vous que votre communication dépend à la fois de la bande passante (la taille du tuyau) et du délai (la vitesse de la lumière). Note aux plus jeunes : à cette époque, la consommation internet était facturée à la minute en France, sisi...
- Les raisons pour ne pas recevoir de réponse sont nombreuses. Ne supposez pas que tout fonctionne correctement. Toutes les versions de talk ne sont pas compatibles.
- Talk laisse paraître votre habilité de dactylo. Si vous tapez lentement et faites des fautes de frappe, cela ne vaut souvent pas la peine d'essayer de corriger, vu que l'autre personne pourra en général voir ce que vous voulez dire.
- Soyez prudent si vous tenez plusieurs sessions talk en même temps !
Groupes de discussion : il valait mieux réfléchir avant de toucher à son clavier
Les groupes de discussion sont un peu l'ancêtre de Facebook, finalement. On venaient y débattre, vendre ses vieilleries, râler contre le système, s'engueuler avec élégance (souvent, mais parfois sans). Les groupes étaient hiérarchisés par thèmes, un peu comme le sont les pages Facebook aujourd'hui, on s'y abonnait, on lisait, on réagissait. En y repensant d'ailleurs, elles étaient sans publicité... Quoi qu'il en soit, les recommandations de l'époque résonnent étrangement aujourd'hui.
Le préambule est assez étonnant à relire aujourd'hui : "Chaque fois que vous vous engagez dans la communication d'une personne à plusieurs, toutes les règles relatives au courrier sont d'application aussi. Après tout, communiquer avec plusieurs personnes via le courrier électronique ou en postant, est assez semblable à communiquer avec une personne, avec l'exception qu'il est possible d'offenser un bien plus grand nombre de gens qu'avec la communication de personne à personne. Il est donc fort important d'en savoir autant que possible à propos de l'audience de votre message."
- Lisez tant les listes de distribution que les groupes de Nouvelles pendant un ou deux mois, avant d'y câbler ou poster quelque chose. Cela vous aidera à acquérir une compréhension de la culture du groupe.
- Ne reprochez pas au gestionnaire du système, le comportement des utilisateurs.
- Tenez compte qu'une large audience va voir ce que vous postez. Cela peut comprendre votre chef actuel ou futur. Faites attention à ce que vous écrivez. Souvenez-vous aussi que les listes de distribution et les groupes de Nouvelles sont souvent archivés et que vos mots peuvent être stockés pour très longtemps, à un endroit où beaucoup de gens ont accès.
- Considérez que les personnes parlent pour elles-mêmes et que ce qu'elles disent ne représente pas leur institution (sauf mention explicite).
- Les messages et articles seront brefs et ciblés. Ne vagabondez pas hors sujet, ne divaguez pas et ne câblez, ni postez simplement pour faire remarquer les fautes de frappe ou d'orthographe des autres. Cela, plus que tout autre comportement, vous signale comme débutant puéril.
- La falsification et la mystification ne sont pas admis comme comportement.
- La publicité est bienvenue sur certains listes et groupes de Nouvelles, et exécrée sur d'autres ! Ceci est un autre exemple de connaissance de votre audience avant de poster. De la publicité non demandée et complètement hors sujet va plus que certainement vous garantir une bordée de messages haineux.
- Si vous envoyez une réponse à un message ou un article, veillez à résumer l'original au début du message ou à inclure juste assez du texte original pour donner le contexte. Ceci donnera la garantie que les lecteurs comprennent lorsqu'ils commencent à lire votre réponse. Comme les Nouvelles, en particulier, sont propagées par distribution des articles d'un relais à l'autre, il est possible de voir une réponse à un message, avant de voir l'original. Donner le contexte aide tout le monde. Mais ne mettez pas le texte original en entier !
- Si vous deviez vous trouver en désaccord avec une personne, faites vos réponses à chacun des autres par courrier plutôt que de continuer à envoyer des messages à la liste ou au groupe. Si vous débattez d'un point pour lequel le groupe peut avoir un intérêt, vous pouvez résumez plus tard pour tous.
- Ne vous impliquez pas dans des guerres incendiaires. Ne postez, ni répondez aux matières inflammables.
- Evitez d'envoyer des messages ou de poster des articles qui ne sont rien de plus que des réponses gratuites à des réponses.
- Il y a des groupes de Nouvelles et des listes de distribution où on discute de sujets d'intérêts très larges et divers. Cela représente une variété de styles de vie, de religions et de cultures. Il n'est pas admis de poster des articles ou envoyer des messages à un groupe dont le point de vue vous choque, simplement pour dire qu'il vous choque. Des messages tenant du harcèlement sexuel ou racial peuvent aussi avoir des implications légales. Il existe du logiciel capable de filtrer les éléments que vous pourriez trouver choquants.
Est-ce qu'on a fait d'internet un sale gosse ?
Alors qu'aujourd'hui l'instantanéité est la norme, le recul une aberration, qu'on like des pages de soutien, retweete des liens sans parfois même les avoir ouverts, que même Warhol se retournerait la paille dans le nez on constatant que son quart d'heure de célébrité est devenue une éternité, et qu'on a finalement recréé 20 ans après quasiment la même chose : quelques voix qui occupent le terrain, beaucoup de commentateurs inaudibles et versant parfois dans la frustration, ces règles d'un autre âge posent quelques questions et forcent à nous interroger individuellement sur ce que nous faisons de ce réseau et des ces outils. Il n'y a pas de réponse absolue, on y trouve des merveilles comme des torrents de boue, il permet de libérer des paroles et faire circuler des informations à ceux qui ne le pouvaient il y a encore quelques années, comme il permet de déverser des insanités en toute impunité. Et pourtant, déjà à l'époque, ça "clashait" sévèrement, ça terminait au tribunal (attention, ce lien peut vous cramer votre après-midi). La différence (autant que je m'en souvienne), c'est que ça ne faisait pas 10 articles répétant tous la même chose sur le sujet dans la journée. Et c'était peut-être mieux comme ça.
En tous cas, en relisant ces règles, je me suis posé la question : est-ce que tout ce que j'ai tweeté, liké, partagé, commenté cette année était digne d'intérêt ? Ma réponse est non. Est-ce que parfois j'aurais dû attendre, voire m'abstenir ? Ma réponse est oui. Est-ce que relire ces règles du début de l'internet grand public en France est une bonne chose ? Ma réponse serait plutôt oui. Est-ce qu'on fait fausse route ? Rendez-vous en 2023.
P.S. Merci Philippe pour la ballade en amnésie.
http://www.cnetfrance.fr/news/internet-comment-on-communiquait-il-y-a-18-ans-39796544.htm#xtor=RSS-300021