Un million de J'aime sur ma photo et j'aurai un chiot (ou autre chose) : ce que l'on sait vraiment de la culture du viral sur le net
Sur Internet, pour qu'un contenu devienne viral, l'importance du site de publication, mais aussi la simplicité et l'émotion provoquée par le message sont cruciales.
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Culture 2.0
Petter Kverneng, un jeune Norvégien a réclamé un million de "like" sur Facebook pour coucher avec sa petite-amie. Crédit DR
Connaissez-vous la famille Cordell ? Ces Américains ont attiré l'attention d'Internet et des médias aux Etats-Unis avec une simple photo. L'histoire commence quand Ryan Cordell promet à ses enfants qu'il leur achètera un chiot si une photo publiée sur Facebook les représentant avec un message expliquant la situation obtient un million de "like". Quelle n'est pas la surprise du gentil papa quand il découvre que l'objectif est atteint en à peine treize heures. Et l'incroyable histoire de cette famille originaire de la ville de Mansfield de relancer la question de la culture du viral, d'autant plus que Ryan Cordell est enseignant-chercheur sur les médias et s'intéresse plus particulièrement à comprendre pourquoi une information devenait virale dans la première moitié du 19e siècle.
Mais que sait-on justement de la culture du viral ? Comment expliquer en effet que des petites filles obtiennent plus d'un million de "like" sur Facebook uniquement en demandant un chien, quand vos photos de vacances avec un chiot n'attireront probablement personne.
Étonnamment, la culture du viral du 21e siècle est assez proche de celle du début du 19esiècle. C'est en tout cas ce qu'assure Ryan Cordell au site Internet The Atlantic. En effet, les contenus qui devenaient rapidement viraux à l'époque et ceux d'aujourd'hui présentent plus ou moins les mêmes caractéristiques : la concision, l'humour, la résonance avec des valeurs culturelles ou encore la joliesse. "Il y a 200 ans, ce n'était pas des traités philosophiques complexes qui devenaient viraux. Non, c'était de petites histoires qui vous donnaient une petite leçon", explique ainsi Ryan Cordell au média américain.
La culture du viral présente donc certaines caractéristiques bien précises. Pour commencer, il faut que le contenu publié soit concis et simple. Seule une simplicité confondante permettra à un contenu de "parasiter" le web. Les enfants Cordell l'ont bien compris : en effet, quoi de plus simple qu'une photo accompagnée du message "Bonjour le monde, nous voulons un chiot ! Notre papa a dit que nous pourrions en adopter un si on obtenait un million de like !" ("Hi world, we want a puppy! Our dad said we could get one of we get 1 million likes!"). Le message, clair et concis, n'en est que plus efficace. Or plus un contenu est facile "à digérer", plus les personnes le diffuseront.
Autre règle importante de la culture du viral : le pouvoir de l'émotion, qui explique par exemple le succès des LOLcats et autres memes "trop mignons" qui pullulent sur le web. Plus un contenu provoquera des émotions, de l'empathie – du rire aux larmes – plus il aura de chances de devenir un succès sur Internet, et ailleurs. L'histoire de ces enfants qui rêvent d'avoir un chiot a probablement titillé plus d'une grand-mère et d'un jeune qui se sont reconnus dans l'"aventure" des Cordell !
Pour qu'un contenu devienne viral, il va de soi qu'il soit partagé. Choisir un bon emplacement pour sa publication est donc crucial. Or de nos jours, quel meilleur endroit qu'Internet pour faire connaître une photo, une vidéo, une histoire ? Comme le rappelle Ryan Cordell, la question des droits d'auteur, du droit de partage n'a pas vraiment lieu d'être sur Internet. Tout le monde partage tout, "l'atmosphère sauvage du partage est de retour". Et c'est d'autant plus le cas sur Facebook qui a vocation par sa fonction – site de réseau social – à entraîner un partage des contenus. Le 21e siècle sera donc probablement l'ère du viral : contrairement aux siècles précédents, les technologies digitales n'ont pas du tout la même échelle que leurs ancêtres. Il n'y a plus besoin de reproduire les contenus désormais, on peut les partager d'un clic.
Et s'il vous fallait une preuve supplémentaire, intéressez-vous à l'histoire de Petter Kverneng, un jeune Norvégien qui a réclamé un million de "like" sur le site fondé par Mark Zuckerberg pour coucher avec sa petite-amie. Une histoire au simple procédé – une photo – qui a de quoi provoquer l'empathie de toutes les garçons qui sont passés par là – l'attente d'avoir des rapports – publiée sur Facebook, un site Internet où un simple bouton permet de partager l'information ! Et le jeune homme d'obtenir en à peine 24 heures plus d'un million de "like", et sa photo d'être partagée plus de 100 000 fois.
Petter Kverneng et sa petite amie Cathrine (Facebook)
Arnaud Mercier est chercheur en sciences de l'information et directeur de l’Observatoire du web-journalisme à l’Université de Lorraine, Metz. Il répond à nos questions sur les grands principes qui rendent une information virale.
Atlantico : Y a-t-il des règles à respecter pour qu'un contenu devienne viral ?
Arnaud Mercier : Il n’y a pas de règle. Le mieux est d’être présent sur les réseaux sociaux qui ont le plus d’abonnés : Twitter et Facebook par exemple. Bien sûr, plus vous avez de suiveurs, plus vous avez de chances de faire suivre votre information. Lorsque sur Twitter, vous indiquez "Please retweet", cela augmente la chance de retweet de 30 %. Quand vous mettez les gens en situation de rendre service, vous les appelez à l’aide, cela favorise la communication. Sur internet il n’y a pas que de la méchanceté humaine, n’en déplaise à Jacques Séguéla. Concernant les thématiques, ce qui fait le buzz, c’est souvent ce qui est spectaculaire, inattendu, insolite. Ou bien une image, très visuelle, qui surprend, choque ou étonne. Il n’y a pas de sujet qui fonctionnerait mieux qu’un autre. On a aussi la dimension 'lol', le truc rigolo, bête, "déconnant". On a vu le succès du poussin Piou. Ce n’est pas sérieux, mais c’est marrant. Et on peut prendre plaisir à le recommander à des amis. On trouve aussi le côté défi. Les internautes contribuent à l’obtention du chiot dans le cas que vous citez. C’est un jeu, un défi collectif, les gens se sentent directement interpelés et ont envie de répondre.
La culture du viral est-elle un phénomène du XXIe siècle apparu avec Internet ou cela existait-il avant ?
Le bouche à oreille et la rumeur ont toujours existé. Mais sur Internet, la transmission est accélérée et mondialise la diffusion. Le nombre de personnes potentiellement touchables augmente. Effet pervers, ça peut créer un choc culturel, comme cette vidéo tournée par un provocateur sur la vie du prophète. Les publics, de par le monde, ne décodent pas tous l’information avec la même grille de lecture culturelle. Du coup, cela peut, là encore, faire accélérer la viralité. On diffuse l’information pas seulement parce qu’on l’aime mais aussi parce qu’on la déteste : "Regardez ce qu’ils osent faire !", "quel scandale !", etc. C’est typiquement le cas, en ce moment, de la photo du soldat français au Mali (publiée par l'Agence France Presse le 21 janvier ndlr), qui le montre le visage recouvert d'un foulard représentant une tête de mort d’un personnage de jeu vidéo. Elle est relayée parce que les gens sont choqués par la photo ou par la réaction jugée excessive de l’Etat-Major qui condamne le soldat.
La viralité n’existe-t-elle que sur Internet ?
Certaines images ou vidéos connaissent un succès d’abord exclusivement sur les réseaux sociaux, puis sont reprises par les médias traditionnels, ce qui donne un coup d’accélérateur au succès, à l’instar du Gangnam Style. Des gens qui n’auraient pas été touchés via internet ont au moins vu la vidéo à la télévision ou entendu le son dans une émission à la radio, ce qui augmente l’impact et donc la dissémination au sein des réseaux sociaux.
Mais les médias traditionnels ne sont pas un outil de viralité en soi. Pour qu’on puisse parler de viralité, il faut une idée de contagion, de passage d’un individu à un autre, le fameux bouche à oreille. La télévision est un programme regardé par tous au même moment. Il faut le web pour qu’elle devienne un sujet de diffusion, de reprises, de commentaires et de dissémination, sous forme d’indignations, de cris du cœur, d’extraits vidéo.
Propos recueillis par Marie Théobald
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