Sylvain Tesson, la meilleure façon de marcher
C'est un homme qui a décidé de prendre ses rêves au sérieux. Et donc de vivre à contre-courant. L’époque célèbre l’instantanéité, les réseaux sociaux et le principe de précaution? Sylvain Tesson n’aime rien tant que les forêts, la méditation, les longues marches et la fréquentation des livres. A quarante ans, cet écrivain voyageur a déjà fait le tour du monde à bicyclette, traversé les steppes d’Asie centrale à cheval, l’Himalaya à pied, mis ses pas dans ceux des évadés du Goulag et de Napoléon, vécu en ermite sur les bords du lac Baïkal, escaladé des cathédrales… De l’aventure, Tesson dit joliment que « c’est une voie difficile vers l’essentiel ». Son dernier livre, Géographie de l’instant, paru aux éditions des Equateurs, est le récit de cette quête. Ce volume est constitué pour l’essentiel de bloc-notes que l’écrivain a tenu, entre 2006 et 2012, dans la revue Grands Reportages. Des mille-et-un détails glanés sur les chemins, d’Oulan-Bator à Fontainebleau, en passant par New York et Kaboul, Tesson a tiré une poésie qui lui inspire une phrase comme celle-ci : « La pluie, sans jamais avoir répété, joue parfaitement du clavecin à la surface des étangs ». Mais pas seulement. Ce cœur aventureux a forgé au fil de ses voyages une pensée pleine de sève, une forme de sagesse, une diététique de l’âme et du corps des plus revigorantes. Sans attaches et n’attendant rien du monde, Tesson évoque les personnages du grand écrivain norvégien Knut Hamsun, auteur de La faim et de Pan, dont il fait sienne cette citation « J’appartiens aux forêts et à la solitude ». Le regard qu’il promène sur notre monde est d’une réjouissante clairvoyance. Sauf quand il se fait l’apôtre de la décroissance et d’une écologie radicale déconnectée des réalités. Mais ne comptez pas sur lui pour dispenser des leçons de morale. Il pense que la terre est le lieu de la vie et non du jugement. A l'exception du Tibet, on ne lui connaît pas d’engagements. « Préférer les idées à la vie, c’est le péché originel », écrivait Léon Chestov. Sa Géographie de l’instant est remplie d’aphorismes que l’on a envie de souligner et d’apprendre par cœur. Celui-ci, par exemple, emprunté à John Burroughs dans L’art de voir les choses : « Le méchant, le cœur sec, voient leurs pairs à leur image. Le ton sur lequel nous parlons au monde est celui qu’il emploie avec nous. Qui donne le meilleur reçoit le meilleur ». Tesson égraine des citations comme le Petit Poucet jette sur le sol des petits cailloux pour retrouver son chemin. C’est une manière pour l’écrivain de témoigner sa gratitude à ses maîtres et complices : Jules Renard, Vassili Grossman, Ernst Jünger, Georges Dumézil… Et à notre tour, nous éprouvons le besoin de témoigner notre gratitude à nos amis en leur offrant le beau livre de Sylvain Tesson.
France Culture, le 18 décembre 2012
(http://blog.lefigaro.fr/le-fol/2012/12/sylvain-tesson-la-meilleure-facon-de-marcher.html)
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