Exode des jeunes : le nouvel Homo Œconomicus
Salvatore Dali : « Enfant géopolitique observant la naissance de l’homme nouveau », huile sur toile 46 x 52 cm - 1943
Lorsque la branche néoclassique de la science économique parle d’Homo Œconomicus, il s’agit bien sûr du fantasme d’un acteur économique pur et désincarné, cupide par essence et étranger à toute émotion qui le ferait dévier de son intérêt économique personnel, libéré des freins que la société et ses institutions opposent à son égoïsme. Mais le capitalisme n’est pas une simple organisation de l’économie, il est aussi un système idéologique, travaillé par l’intérieur par divers mouvements plus ou moins influents selon les époques. Depuis les années 1980, et surtout après la fin de l’Union Soviétique, c’est la branche néoclassique, c’est-à-dire ultralibéral, qui domine la science économique et influence le plus les politiques économiques du monde entier. Naomi Klein l’explique très bien dans « La stratégique du choc : La montée d’un capitalisme du désastre ».
Il est alors intéressant d’interpréter dans un sens prophétique l’Homme Nouveau peint par Salvador Dali dans son tableau « Enfant géopolitique observant la naissance de l’Homme nouveau » soit l’Homo Œconomicus sortant de l’œuf ultralibéral par la partie américaine de sa coquille. Du fait de la couveuse idéologique qu’est l’Union Européenne, l’Homo Œconomicus sera d’abord, et peut être seulement, européen. Cette homme-là fuit l’inflation et refuse les interventions de l’Etat dans le fonctionnement économique devenu mondial. Contrairement au reste de la planète, il ne reconnait plus ni les frontières, que ce soit pour les hommes, les capitaux ou les marchandises, ni les nations trop attachées aux Etats-Nations et privilégie l’apprentissage de l’anglais, la langue des vainqueurs, au détriment de sa langue nationale. Paradoxalement, c’est une convulsion du système libéral qui permet l’avènement de cet homme neuf. Une coquille craquant d’elle-même facilite tant l’éclosion de cet être d’une nouvelle nature.
L’émigration d’une partie grandissante des jeunes diplômés français est ici révélatrice. En effet, s’il est vrai que les pays européens les plus touchés par la crise économique renouent avec une émigration de masse des jeunes talents qui ne parviennent pas à trouver dans leur pays d’emploi qui leur convient au vu de leurs qualifications (notons ici les taux de chômage des jeunes à 31% en Irlande et à Chypre, 39% au Portugal, 40% en Italie, 55% en Espagne ou encore 58% en Grèce), la France fait figure d’exception en tant que pays traditionnellement d’immigration, dont les citoyens caricaturés en gaulois chauvins quittaient peu leur pays pour des raisons économiques. Pourtant, d’après une étude ViaVoice pour W&Cie, seuls 36% des jeunes français auraient confiance dans l’avenir de la France, à l’image du reste de la société française. Mais, à la différence du reste de la société, 50% des 18-24 ans et 51% des 25-34 ans aimerait quitter la France. Les plus éduqués d’entre eux franchissent d’ailleurs le pas de l’émigration plus facilement.
Cet état de fait traduit bien la simultanéité de la crise économique avec la crise de confiance et la crise des valeurs. Dans un tel contexte, il parait difficile de blâmer l’Homo Œconomicus en puissance, parfois sommé de « se barrer » dans la presse, et la rationalisation de son comportement d’un point de vue purement économiques. Reste que nous pouvons le déplorer et nous en inquiéter.
Certes, qu’ils partent à la recherche d’un système fiscal plus avantageux ou d’une croissance plus importante, ces jeunes peuvent constituer une diaspora bénéfique pour l’économie de l’Hexagone en organisant des entrées de devise, en promouvant l’image de la France à l’étranger, ou permettant l’accès à des débouchés nouveaux pour les entreprises nationales. Mais un exode trop massif de la partie la mieux éduquée d’une génération peut s’avérer dramatique économiquement. Le départ de trop d’émigrés formés à grands frais en France mènerait à un fléchissement de la démographie française, à la privation de talents qui serviraient les concurrents des entreprises françaises et à un manque à gagner fiscal important à terme.
Si les destinations principales de ces jeunes émigrés sont la Suisse, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, l’Allemagne pourrait devenir une destination de plus en plus privilégiée comme elle l’est devenue pour les pays d’Europe du Sud ces dernières années. L’immigration des jeunes italiens, grecs et espagnols en Allemagne a ainsi connu un grand boum depuis 2011 selon le rapport Destatis avec une augmentation respectivement de 39.8%, 43.4% et 44.7%.
La venue de ces jeunes diplômés, dont la formation a été financée par d’autres Etat, est une aubaine pour une Allemagne vieillissante et ce mécanisme contribue à ce que le fossé se creuse entre une Europe du Nord égoïste mais dynamique, et une Europe du Sud exsangue, devenue incapable de proposer un avenir à ses jeunes. Or, ces jeunes fuient les politiques d’austérité drastique imposée par Bruxelles, notamment sous l’influence de l’Allemagne. Ce n’est plus une fuite des cerveaux, mais un siphonage.
Il est aujourd’hui urgent d’inciter les jeunes diplômés français à rester en France, ou du moins à y revenir après leurs séjours d’étude, en répondant à leur soif d’entreprendre, de créer et d’innover, que ce soit par un « choc de simplification » ou un « choc fiscal », mais aussi en promouvant plus intensément les valeurs de la République Française face à celles du libéralisme déracinant. Il s’agirait là d’un premier pas pour éviter l’éclosion douloureuse de l’œuf de Dali dans le sang qui ruisselle déjà dans le tableau. La question est ici de savoir si la France doit rester une exception culturelle ou devenir une province européenne parmi d’autres, dans le monde hors sol de l’Homo Œconomicus.
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