Mon prénom sur une bouteille de Coca-Cola. Pourquoi ça marche ?
Quand « Léa » ou « Mathieu » sont apparus sur les bouteilles de Coca, cette campagne de pub m’indifférait. Jusqu’au jour où on m’a envoyé une photo avec mon prénom.
Tant que les cannettes troquaient leur logo « Coca-Cola » par le gentillet « un ami », l’opération ne m’intriguait que de loin. Quand « Marie », « Mathieu » et « Léa » sont apparus – toujours dans la célèbre typo de la marque –, j’ai trouvé ça limité. Les mêmes prénoms revenaient.
Jusqu’à vendredi dernier. Jusqu’à cet e-mail d’une amie, qui m’envoie la photo d’une pub pour Coca. La bouteille porte mon nom.
Je ne bois que rarement du Cola, je ne porte pas la marque dans mon cœur. Mais là, un petit frisson de plaisir m’a traversée. Suivi d’une envie immédiate de faire circuler l’image.
Le pire, c’est qu’autour de moi, le même phénomène se reproduit. Mais pourquoi ?
Quand Coca n’est pas un ami
L’idée des bouteilles personnalisées vient d’Australie. Là-bas, les flacons en plastique de 50 cl de Coca, Coca-Light et Coca Zéro s’appellent Bree, Brayden, Alysha ou Audrew. Et tous ces « amis » ont permis à Coca-Cola Australia d’accroître ses ventes de 4%, selon le site du magazine spécialisé dans la consommation LSA.
Le score ne peut être négligé sur un marché en perte de vitesse. En 2012, le segment des colas classiques a perdu en France 430 000 foyers acheteurs et le segment des colas light a perdu 640 000 foyers acheteurs, d’après les chiffres IRI cités par le site emarketing. Et en 2013, le marché reste fragilisé : par la taxe soda, par le débat sur l’aspartame et par la météo maussade. Tandis que Pepsi est redevenu un challenger dynamique.
Le plus gros investissement en France
Du coup, Coca a décidé d’essaimer le concept australien dans 32 pays entre le 1er mai et la fin de l’été 2013. L’entreprise espère écouler près de 800 millions de bouteilles personnalisées. Avec 5 000 prénoms différents.
L’idée est aussi de tourner des spots publicitaires avec des consommateurs (qui déclament face caméra un message à un ami), d’organiser des événements durant l’été pour les rencontrer, de leur proposer des concours sur les réseaux sociaux pour personnaliser leur propre bouteille, etc.
La campagne « Partagez un Coca-Cola » représente le plus gros investissement de ce type pour l’entreprise en France, qui mobilise « des moyens cinq fois plus importants que lors des derniers JO de Londres », assure Ilan Ouanounou, vice-président commercial et marketing de Coca-Cola Entreprise, cité par Le Parisien.
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Ton prénom tu boiras
Sauf si tu t’appelles Mohamed
Un produit à votre prénom, le procédé n’est pas nouveau. Le bol breton en est l’exemple, qui se décline en bracelets, ronds de serviette, objets en bois sans utilité prédeterminée, voire parfois en grains de riz gravés. Ils s’achètent bien souvent en été et, une fois la rentrée arrivée, se regardent avec une certaine perplexité.
Les industriels se sont déjà inspirés de cet intérêt pour le produit artisanal personnalisé, qui permet surtout d’évoquer une belle journée, un bon moment passé :
- vous pouvez désormais imprimer votre photo sur vos M&M’s ;
- ou renommer votre pot de Nutella, puis le conserver et l’exposer dans votre cuisine ;
- Nike propose des baskets et vêtements personnalisés ;
- En lançant son nouveau téléphone portable, le Moto X, Google a lui aussi promis un objet « customisé » pour chacun. En réalité, la personnalisations’arrête à la couleur, et ne concerne que les clients d’AT&T, aux Etats-Unis. Mais c’est l’idée : chacun son objet.
En France, 150 prénoms ont été imprimés sur les bouteilles rouges et blanches. Charles, Benoît, Mélanie, Steven, Kevin, Déborah... 100 prénoms ont ensuite été ajoutés. Il s’agit, relaient plusieurs sites dont celui de Stratégies, des prénoms les plus couramment donnés aux jeunes de 15 à 29 ans.
Pourtant, si la liste comporte Samir, Mehdi, Yacine ou Sarah (mais avec un H), elle n’a retenu aucun des prénoms arabes les plus donnés en France (Mohamed, Kenza, Yasmine). D’ailleurs, en Belgique, il a été remarqué que le prénom Mohamed, l’un des prénoms les plus populaires dans le pays, ne figurait pas dans la liste, raconte Le Soir.
Interrogée par leurs confrères du Knack, Aurelie Gerth, la porte-parole de Coca-Cola Belgique a expliqué pourquoi :
« Nous avons consulté l’Exécutif des musulmans de Belgique. Et ce dernier nous a déconseillé d’utiliser le prénom de Mohamed. »
Ce conseil sera appliqué pour tous les pays européens dans lesquels la campagne est en cours, poursuit Le Soir. Bref, Coca invente la personnalisation sélective, assez aseptisée tout de même.
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La pub tu partageras
En pensant que tu n’es pas dupe
Mais l’entreprise ne s’arrête pas à ces bouteilles individualisées. Si j’ai fait circuler la photo qui m’a été envoyée, c’est parce que la bouteille portait mon prénom, mais aussi parce que figurait à ses côtés un message faussement manuscrit, d’une certaine Carolyne, une déclaration d’amitié. « Carolyne, Lyon » disait sur l’affiche :
« Elsa, tu es une amie en or. Je ne t’oublierai jamais. »
L’affiche de pub Coca-Cola, à Lyon, en août 2013 : « Elsa, tu es une amie en or. Je ne t’oublierai jamais. » (DR)
Je ne connais pas de Carolyne avec un Y, j’ai trouvé le message impersonnel, voire ridicule, mais ces éléments m’ont inspirée. J’ai fait suivre la photo à une Caroline de ma connaissance, avec une plaisanterie sur ce Y qui la rajeunirait (mais j’aurais pu lui parler de la forme de la bouteille, la version light du Coca, les raisons de son passage à Lyon, etc.).
Cette affiche est le fruit d’un concours. Il était possible, via Internet, de « partager un message » avec un ami, « sur les panneaux publicitaires des plus grands villes de France ». Et ça fonctionne : je me suis approprié le jeu. Pour deux raisons.
- L’un des prénoms sélectionnés fait forcément penser à quelqu’un : un ami, un ancien camarade, un voisin qu’on essaie de draguer, un ami d’ami... La pub est l’occasion de (re)contacter la personne, voire des proches qui le connaissent, autrement dit d’en faire profiter son réseau, avec un bon mot ;
- seconde raison : la possibilité du bon mot, justement. Peu importe que le message manuscrit sur l’affiche frôle la niaiserie, ou que l’idée du prénom sur une bouteille vous paraisse ringarde. C’est même mieux. Comme ces cartes postales de vaches, de chats ou de touristes ridicules qu’on s’envoie l’été, pour rigoler (sinon, pourquoi continueraient-elles à être imprimées ?).
+10 millions de fans sur Facebook
« En plus d’assouvir notre soif, Coca-Cola nourrit nos conversations », annonçaitl’agence de pub qui a monté l’opération, Olgivy. D’ailleurs, l’injonction est contenue dans le nom de la campagne : « Partagez un Coca-Cola ». Partagez, au double sens du terme : « faites suivre » cette bouteille virtuelle, et « prenez un pot » avec votre interlocuteur.
Le premier commandement est suivi. « La page Facebook de Coca-Cola s’est vu grandir de près de 10 millions de fans en l’espace de cinq mois », selon l’agence Olgivy. Et dans la vraie vie ? Il semble que ça marche aussi.
Au Royaume-Uni, par exemple, les ventes de Coca ont grimpé de près de 3% entre avril et juin 2013, alors qu’elles avait chuté de plus de 2% durant la même période l’an dernier. La marque distance son rival Pepsi, dont les ventes baissent sur ces trois mois, alors qu’elles augmentaient l’an dernier.
Au Royaume-Uni, le cabinet YouGovBrandIndex’s a évalué l’impact de la campagne. Plus de la moitié des conversations sur Twitter à propos de la marque ont été positives pendant l’opération, contre 25% de négatives et 21% de neutres. Globalement, son score de réputation est passé de 13,8 à 18,9 (sur un maximum de 100).
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De l’amour tu ressentiras
En oubliant la mauvaise image de la marque
En janvier 2012, un documentaire, « Coca-Cola, la formule secrète », diffusé sur France 2, dénonçait la dangerosité de certains ingrédients du breuvage, et l’absence de transparence de Coca au sujet de sa recette.
D’après Le Canard enchaîné, Coca-Cola n’aurait pas du tout apprécié le documentaire. Au point d’écrire au patron de France Télévisions, une lettre pour se plaindre du contenu du documentaire et pour annoncer que Coca-Cola « sucre sa pub en 2013 sur les chaîne du groupe public ».
Il faut dire qu’en France, la marque pâtit de la même mauvaise image que Mc Do – avant son offensive verte et terroir – ou Disney : trop américaine, trop hégémonique, trop vampire.
Un peu partout ailleurs, ONG, groupes de pression et enquêtes journalistiques dénoncent régulièrement la composition du breuvage et sa stratégie de communication.
Dans un même mouvement anti-Coca (et aussi anti-américain) on a vu fleurir les breuvage locaux. Breizh Cola, « le coca breton », vendait 15 millions de bouteilles en 2012. Corsica Cola sur l’île de Beauté, Fada Cola à Marseille, Berry Cola dans l’Indre, Bougnat Cola en Auvergne, Meuh Cola en Normandie... Presque chaque région compte désormais sa propre boisson brune gazéifiée.
Coca vend du bonheur
Comment Coca-Cola pouvait-il susciter la même affection, la même émotion, le même attachement ? La même amitié, en un mot.
Les conseillers de la marque ont eu une idée simple et sans complexe : écrire « ami » sur la bouteille, histoire d’être tout à fait clair, mais pas trop directif non plus (chacun pense à son ami à lui). Fini le Yankee conquérant. Si c’est un ami maintenant, comment pourrait-il vous faire grossir, ou vous empoisonner ?
Vous noterez au passage l’univers très facebookien de l’opération : je choisis des « amis », avec qui je « partage » des bouteilles. Le « like » n’est pas repris, mais le « bonheur » le remplace, avec le slogan : « Coca-Cola ouvre du bonheur.
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