Ces femmes dans l'ombre des dictateurs
Mao avec Zhu Enlai, Lin Piao et sa quatrième femme Jiang Qing (à droite). Elle lui survivra et sera jugée lors du procès de la Bande des Quatre. Crédits photo : XINHUA/AFP
Après les tyrans fascistes et communistes du XXe siècle, Diane Ducret s'est intéressée aux destins sentimentaux des femmes et des maîtresses de six dictateurs contemporains. En exclusivité, elle nous raconte les détails inédits de cette incroyable enquête qui l'a menée de La Havane au Proche-Orient via Belgrade et Pyongyang.
*Femmes de dictateurs, Pocket, 448 p., 7,60€
Qui, il y a un an, aurait cru que Femmes de dictateur* serait le plus grand best-seller historique de l'année 2011 Qui aurait pu penser que l'étude sentimentale fouillée des Hitler, Mussolini, Salazar, Lénine, Staline et autre Mao passionnerait 100.000 lecteurs en France sans parler des lecteurs de ces dizaines de pays qui s'apprêtent à le publier? Pas même Diane Ducret elle-même... Forte de ce succès, cette historienne trentenaire aussi sérieuse que séduisante publie le second volet de ses travaux. Castro, Milosevic, Saddam Hussein, Khomeiny, Kim Jong-il et Ben Laden sont cette fois au programme de ses investigations. Comprendre sans juger: tel est le credo immuable qu'elle a une fois de plus respecté en interrogeant archives et témoins de ces vies amoureuses et sexuelles beaucoup plus agitées qu'on ne le croirait. Fourmillant d'anecdotes croustillantes mais souvent lourdes de sens, surprenant, passionnant de bout en bout, Femmes de dictateur (Perrin) est plus qu'un essai historique: une biopsie édifiante à la fois du pouvoir politique et du coeur humain. Et la confirmation de la justesse de certain adage prétendant que l'amour est aveugle. Même chez les mollahs et les tyrans les plus sanguinaires.
Le Figaro Magazine. - Comment en vient-on à étudier ces femmes qui ont vécu et vivent dans l'intimité des tyrans contemporains?
Diane DUCRET. - En travaillant, il y a quelques années, dans les archives de plusieurs dictateurs, je me suis rendu compte que des hommes comme Hitler, Mussolini ou Staline avaient passé plus de temps dans leur vie à entretenir des correspondances amoureuses qu'à écrire des dépêches politiques! En mettant en parallèle cette découverte avec l'idée selon laquelle les systèmes dictatoriaux reposent essentiellement sur le principe de séduction, j'ai estimé qu'il y avait matière à écrire un livre sur le rapport, souvent méconnu, des dictateurs avec leurs femmes, leurs maîtresses, leurs groupies. L'important était d'avoir accès à des lettres et des témoignages nombreux et inédits afin de donner une valeur réellement historique à ce travail.
Après un premier tome consacré aux «plus grands», vous avez choisi d'entrer dans l'intimité de six dictateurs contemporains. Sur quel critère avez-vous établi votre sélection?
Fidel Castro et sa jeune conquête allemande, Marita Lorenz qu'Ava Gardner accusera de voiloir garder le Lider Maximo pour elle toute seule. Crédits photo : Rue des Archives/©Rue des Archives/RDA
J'ai choisi six hommes qui, à un moment donné de leur histoire, ont mis en péril la sécurité d'une région du monde et qui, tous, se nourrissent d'une haine de l'Occident: soit pour des questions de géopolitique, soit pour des raisons religieuses. Voilà pourquoi je me suis intéressée à Castro ou à Milosevic plutôt qu'à Kadhafi ou Amin Dada. Il m'apparaissait d'autant plus intéressant de décrire leur vie sentimentale que l'image qu'ils renvoient d'eux-mêmes -dure, cruelle- ne laisse pas supposer une quelconque sentimentalité en eux. Comment imaginer en effet que l'ayatollah Khomeiny, dont on sait quel traitement il a réservé aux Iraniennes, faisait la vaisselle et récurait les toilettes de sa maison pour que son épouse n'ait pas à le faire! Comment pouvait-on supposer que le viril révolutionnaire Fidel Castro jouait aux petites voitures dans son bureau où défilaient ses maîtresses enamourées? À travers la vie intime de ces «monstres», on prend conscience qu'ils sont des êtres humains comme vous et moi. C'est dérangeant à lire, cela ruine le confort intellectuel de ceux qui voudraient leur ôter toute part d'humanité afin d'excuser l'adhésion des masses à leur cause mais c'est la réalité. L'histoire des dictatures, ce n'est pas qu'une affaire de testostérone. Le comportement en tant que père, mari ou amant des hommes de pouvoir absolu apporte un éclairage précieux sur leur personnalité d'homme d'Etat.
Est-ce difficile, même après la chute des tyrans dont elles furent proches, de rencontrer celles qui l'aimèrent et qu'ils aimèrent?
À la droite de Mussolini, son épouse, Rachele. Le Duce aura d'innombrable maîtresse. Crédits photo : © Alinari / Roger-Viollet/© Alinari / Roger-Viollet
Oui, car il faut déjà pouvoir les identifier: il y en a certaines dont tout le monde ignorait l'existence, d'autres qui, a contrario, étaient des inventions de toutes pièces, d'autres encore dont les services de propagande des uns ou les services de contre-propagande des autres avaient nié la réalité pour des raisons politiques! Pour vérifier tout cela, plusieurs mois d'enquête furent nécessaires, couronnés de rencontres dans des lieux parfois baroques avec des personnes qui ne l'étaient parfois pas moins: d'anciens ministres déchus, des opposants vivant encore dans la peur et sous protection, d'ex-mercenaires, etc. Sans oublier les principales intéressées, comme la maîtresse grecque de Saddam Hussein, qui habite aujourd'hui un taudis dans une tour HLM de Suède.
Certaines femmes de dictateurs étaient seulement amoureuses, d'autres ont joué un réel rôle politique auprès de leur amant. Quelle est, en général, la proportion de l'idéologie et du sentiment dans leur passion?
Saddal Hussein, sa femme Sajida et une de leurs filles. La femme du dictateur irakien ne faisait pas de politique. Crédits photo : SAADOUN/SIPA/SAADOUN/SIPA
Chaque cas est différent. Il est impossible d'établir une véritable typologie car tous les profils de femmes existent parmi elles. Il y a des chiennes de pouvoir comme Mirjana Markovic, la femme de Milosevic, des apolitiques comme les épouses de Khomeiny ou de Saddam Hussein, des esclaves sexuelles, des martyres volontaires comme la dernière femme de Ben Laden, Amal, dont l'engagement et l'aveuglement font immanquablement penser à ceux d'une Magda Goebbels... Le seul point commun entre elles, c'est leur impossibilité à quitter leur homme: un dictateur, soit il vous chasse soit vous mourez avec lui. Dans tous les cas que j'ai étudiés, une seule femme est partie de sa propre initiative: Margherita Sarfatti, une des premières maîtresses de Mussolini. Issue de la grande bourgeoisie vénitienne, c'est même elle qui a fait sa formation idéologique et l'a poussé à prendre le pouvoir au moment de la Marche sur Rome en 1922 alors qu'il hésitait et s'apprêtait même à s'enfuir en Suisse! Mais en 1938, ironie de l'histoire, ce sont les lois du régime qu'elle avait elle-même contribué à mettre en place qui l'ont poussée à partie. Juive, elle était désormais paria dans son propre pays...
Après avoir partagé la vie d'un dictateur, est-il possible d'avoir du recul par rapport lui?
Maîtresse de Hitler, Eva Braun épousa le Führer avant qu'il ne se donne la mort, lors de l'effondrement du IIIe Reich. Crédits photo : ASSOCIATED PRESS
Non. Mirjana Markovic, qui vit à Moscou, reste persuadée que son mari était un patriote qui ne faisait que défendre l'intégrité de son pays contre les attaques injustes des puissances de l'Ouest déterminées à extirper le marxisme de la surface de la terre. Quant à Marita Lorenz, que Castro a forcée à avorter, elle s'est montrée incapable de le tuer alors que la CIA lui avait promis deux millions de dollars et qu'elle avait la possibilité de le faire: «Je l'aimais trop et je l'aime encore», m'a-t-elle dit! Isabel Custodio, une autre maîtresse de Castro à qui je rappelais qu'il l'avait plaquée et qu'il avait fait emprisonner et tuer de nombreux opposants, m'a aussi déclaré qu'elle n'avait aucun regret. «J'étais consentante. Pour tout.» Aucune ne parvient à tourner la page. Même pas la première femme de Ben Laden, Najwa qui a assisté, impuissante, à la montée d'une violence sans fin chez son mari, qui a vu ses fils devenir «des cadavres avec des yeux». Elle a un mal fou à ne pas garder en tête l'image de cet homme si doux rencontré alors qu'ils étaient très jeunes et qui aimait tant les bébés gazelles ou faire des cadeaux autour de lui. Pour elle, Oussama Ben Laden restera toujours la douceur et la bonté incarnées sur terre!
N'avez-vous pas le sentiment que parfois les femmes de chefs d'Etat démocratique se comportent un peu de la même façon que les femmes de dictateurs?
Joseph Staline et sa seconde épouse, Nadia Allilouyeva. Celle-ci, comme la première, eut une vie tragique et brève. Crédits photo : ©FineArtImages/Leemage
J'aimerais dire oui mais la réponse est non. Parce qu'il n'y a pas une différence de degré mais de nature entre le pouvoir démocratique et le pouvoir dictatorial. Si on retrouve en effet des éléments identiques dans leurs comportements (jalousie, esprit de sacrifice, goût du luxe, intérêt affiché pour les arts comme dérivatif), il n'y a aucune commune mesure. Ne serait-ce que parce que, dans leur cas, elles ne sont jamais prisonnières ni victimes mais libres. Y compris de les quitter!
Parmi toutes ces femmes de dictateur, laquelle vous a le plus impressionnée?
Celia Sanchez, la plus fidèle, la plus dure, la plus dévouée des maîtresses. Dans une de ses lettres, elle dit que combattre Batista, la CIA et les Américains, comparé à la lutte qui fut la sienne pour garder son amour pour Fidel et Cuba, c'était de la rigolade. Et aussi Sajida Hussein qui, derrière son côté précieuse ridicule, a toujours fait preuve d'une incroyable dignité dans sa souffrance de femme trompée et trahie. Un jour qu'on lui enlève un grain de beauté, le chirurgien oublie de l'anesthésier. Quand il s'en rend compte, il s'inquiète: «J'ai dû vous faire atrocement mal! -Quand on tient avec Saddam, on peut tout supporter», répond-elle dans un sourire triste.
Laquelle vous semble la plus cruelle?
Le Serbe, Sobodan Milosevic et sa femme Mirjana. Ils s'étaient connus à l'université de Belgrade. Crédits photo : MIKICA PETROVIC/AP/SIPA/MIKICA PETROVIC/AP/SIPA
Jiang Qing, qui était d'une jalousie féroce. Au cours d'une soirée, la femme d'une ministre portant une tenue colorée et un collier de perles avait un peu attiré l'attention de Mao sur elle. Jiang Qing l'a fait arrêter, juger sur la place publique vêtue de toutes les robes qu'elle possédait et d'un collier de balles de ping-pong. Elle a ensuite été battue et emprisonnée. Elle est morte en prison.
Y en a-t-il une que vous ne comprenez pas?
Je les ai toutes étudiées en prenant soin de ne pas faire de psychologisme et de les observer avec neutralité pour pouvoir les comprendre dans leur identité féminine sans jamais les juger. Il y en a une seule dont la trajectoire m'échappe encore, c'est Magda Goebbels. Jeune, elle portait une étoile de David autour du cou; quand elle s'est suicidée après avoir tué ses enfants, elle avait l'insigne d'or du parti nazi sur la poitrine...
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