Energies du futur : nos cinq idées folles
Quand on parle d’énergies renouvelables, on pense d’abord aux éoliennes, au solaire, à la biomasse ou à l’hydraulique. Mais les scientifiques du monde entier ont d’autres idées dans leurs cartons.
PAS QUE DU VENT !
« L’énergie durable - Pas que du vent ! » est un ouvrage étonnant : David MacKay tente d’y dépassionner le débat autour de l’énergie, en se basant uniquement sur les chiffres – « mon but, c’est de bâtir un plan où le compte soit bon » – et non sur des adjectifs.
Avec beaucoup de clarté et d’humour, il dresse un état des lieux lucide et donne un certain nombre de perspectives pour l’avenir énergétique de la planète.
Il y attaque également l’adage selon lequel « chaque petit geste compte » : « si tout le monde en fait un petit peu, nous n’arriverons à faire qu’un petit peu. »
Son conseil : « Ne vous laissez pas distraire par le menu fretin ; concentrez-vous sur les gros poissons, les facteurs de changement décisifs. »
Parfois loufoques, beaucoup d’entre elles semblent « trop belles pour être vraies », ou reposent sur des technologies que l’on ne maîtrise pas encore parfaitement.
A l’occasion du débat national sur la transition énergétique, Rue89 s’est penché sur cinq formes d’énergies nouvelles : crédibles, possibles « game changers » (révolutionnaires), ou futures bonnes idées rangées au placard ?
Nous avons pu les soumettre au jugement de David J.C MacKay, physicien et professeur de philosophie à Cambridge, que nous avons rencontré lors de son passage à Paris.
Après la publication de son livre« L’énergie durable - Pas que du vent ! » (téléchargement gratuit) en 2009, il a été nommé conseiller technique au Department of Energy and Climate Change, le ministère britannique de l’Energie.
Voilà donc nos cinq idées un peu folles, mais qui méritent réflexion.
1
Le thorium : le nucléaire propre ?
Ce minerai est au cœur d’un intense débat depuis les années 60. Ses plus fervents défenseurs le présentent comme l’« atome vert », la possibilité d’un nucléaire propre ; ses détracteurs, eux, dénoncent la « fable du thorium ».
Vu sous un certain angle, le thorium est plus qu’alléchant :
- il est trois fois plus abondant dans la nature que l’uranium (presque autant que le plomb) dont les ressources pourraient être épuisées d’ici à 2100 ;
- il est beaucoup plus difficile à utiliser pour fabriquer des bombes nucléaires ;
- son utilisation comme combustible produit beaucoup moins de déchets, qui peuvent pour la plupart être réinjectés dans le réacteur.
Pour David MacKay, nous disposons déjà de la technologie permettant d’utiliser le thorium :
« Avec des ajustements mineurs, le thorium peut être utilisé comme combustible dans les réacteurs actuels, en addition d’un peu d’uranium. Et une réflexion existe sur d’autres types de réacteurs, qui ont fonctionné par le passé et dont les propriétés en termes de sécurité étaient excellentes. »
Alors, si le thorium est si formidable, pourquoi est-ce qu’on ne l’utilise pas ?
« Au départ, la Grande-Bretagne a développé des réacteurs nucléaires afin d’obtenir du plutonium pour faire des bombes. L’électricité était une idée secondaire. C’est pour ça qu’on a choisi l’uranium.C’est probablement la raison pour laquelle les Etats-Unis et la France ont choisi l’uranium également. »
C’est l’une des légendes qui entourent le thorium : la recherche – prometteuse – menée dans les années 50 et 60 aux Etats-Unis aurait été stoppée au profit de la filière à l’uranium, afin de fabriquer des armes nucléaires.
« De l’énergie pour 10 000 ans »
Les critiques sont nombreuses [PDF], et les anti-thorium contestent pratiquement tous les avantages supposés qu’il présenterait. Principal obstacle : alors que la France souhaite réduire la part du nucléaire dans sa production d’énergie de 75 à 50% d’ici à 2025, investir dans le thorium reviendrait à relancer la filière.
Un petit groupe de chercheurs du CNRS basés à Grenoble travaille depuis 1998 sur un réacteur, retenu comme piste de réflexion lors du Forum International Génération IV en 2008 : le réacteur rapide à sels fondus (MSFR), qui utiliserait le thorium comme combustible liquide.
Avec ce type de réacteurs surgénérateurs, 100% de la ressource utilisée comme combustible sont consommés, à la différence des réacteurs actuels : seul 1% de l’uranium extrait entre en effet dans la création d’énergie. Pour Daniel Heuer, membre de ce groupe de recherches, c’est la technologie, plus que le minerai, qui est intéressante :
« On gagne à la fois sur les ressources, qui deviennent potentiellement infinies, et sur les déchets. Et ce réacteur est intrinsèquement sûr, extrêmement stable et facilement pilotable. »
Leurs recherches sont purement académiques, et il n’existe pas encore de prototype concret du MSFR en France. Selon Daniel Heuer, les réticences des industriels du secteur, qui disposent de cinquante ans d’expérience avec la filière à l’uranium, vont constituer un frein majeur à l’adoption du thorium comme nucléaire du futur. Tout comme le coût de démantèlement du parc nucléaire et de l’installation de nouvelles infrastructures :
« On travaille à une solution durable, qui permettrait de produire de l’énergie pour 10 000 ans. On a bien 100 ans pour le faire, prenons le temps de le faire correctement. On n’est pas acculés.Et nos descendants ne pensent peut-être pas comme nous : cette solution doit donc être durable, mais aussi réversible. »
Récemment, la Chine a massivement investi dans la filière thorium. L’Inde, qui possède le quart des réserves mondiales, l’utilise déjà depuis quelques années, dans des réacteurs de troisième génération dits Candu.
2
Du pétrole à base d’air
Les alchimistes rêvaient de transformer le plomb en or. Des ingénieurs britanniques y sont presque : ils sont parvenus à transformer l’air en pétrole, comme le révélait The Independent en octobre. Un pétrole de synthèse à base d’air et d’électricité obtenu grâce à un procédé chimique complexe, résumé par Slate.fr.
Peter Harris, PDG de la petite entreprise britannique à l’origine de cette découverte, explique :
« Nous avons pris le dioxyde de carbone présent dans l’air et l’hydrogène présent dans l’eau, et nous les avons transformés en carburant. »
Ce carburant de synthèse, « beaucoup plus propre que celui obtenu à partir de pétrole fossile », serait compatible avec les moteurs existants.
Coûteux mais prometteur
Selon David MacKay :
« Cela pourrait être une technologie importante. Ça permettrait de faire des choses que l’on ne peut pas faire avec les énergies renouvelables actuellement : nos avions et navires de fret, par exemple, fonctionnent aux carburants liquides.Capturer le CO2 présent dans l’air et le restituer en carburant nécessite un important apport d’énergie à la base. Mais c’est probablement une chose intelligente à faire avec notre énergie : c’est clairement une idée que je souhaite voir étudiée. »
Le procédé en est encore à ses débuts, et la technologie est pour le moment trop coûteuse pour un développement commercial. Mais Peter Harris espère le développement d’une raffinerie « d’ici 15 ans ».
3
L’énergie osmotique
L’énergie osmotique repose sur un phénomène physique : l’osmose. Lorsqu’une quantité d’eau salée et une quantité d’eau douce entrent en contact, séparées par une membrane semi-perméable, les molécules de sel attirent l’eau douce à travers la membrane. Ce passage génère une surpression sur la masse d’eau salée, qui peut alors être canalisée vers une turbine.
Schéma de fonctionnement d’une centrale osmotique (Statkraft)
Les estuaires des fleuves, où l’eau de rivière se déverse dans la mer, constitueraient donc un formidable gisement d’énergie. Le potentiel énergétique d’un estuaire équivaudrait à celui d’une chute d’eau de 120 mètres de hauteur. Et tout pays côtier pourrait en principe exploiter cette énergie totalement propre.
L’idée est en réalité née dans les années 70, mais la technologie de l’époque n’était pas assez performante. Le premier prototype de centrale osmotique a été construit en 2009 à Tofte, en Norvège.
Mais les rendements restent assez faibles : trois watts par mètre carré de membrane. Les ingénieurs de l’entreprise Statkraft, à l’origine du projet, travaillent actuellement sur une usine d’un à deux MW, ce qui nécessiterait une membrane de 200 000 m2.
Trop faible pour changer la donne
Une deuxième centrale a été crée au Japon, et une troisième est en cours de construction aux Etats-Unis. Stein Erik Skilhagen, responsable de l’énergie osmotique à Statkraft, donne une estimation encourageante :
« Le potentiel technique mondial de l’énergie osmotique est estimé à 1 600 TWh par an, soit l’équivalent d’environ la moitié de la production électrique européenne en 2009. »
David MacKay avait prévu un chapitre sur l’énergie osmotique dans son livre, mais ne l’a finalement pas inclus :
« Il y a un potentiel très important de plusieurs GW par rivière, soit l’équivalent de plusieurs centrales nucléaires. Mais seulement si vous parvenez à accomplir ce que disent les lois de la physique. Or, vous ne pouvez pas vraiment faire passer le flot entier d’une rivière à travers une membrane.En étant réaliste, et même avec une technologie vraiment au point, vous n’obtenez que 10% de l’énergie potentielle. Même en étant optimiste, je ne crois pas que cela pourra changer la donne. »
4
Un biocarburant aux bactéries
Les biocarburants se sont jusqu’ici heurtés au problème de leur impact environnemental. Produits à partir de canne à sucre, de betterave ou de maïs, ils nécessitent l’utilisation de terres arables et d’eau potable. Une start-up américaine pense avoir réussi à contourner le problème, de façon spectaculaire.
Le e-éthanol mis au point par Joule Unlimited (en partenariat avec Audi) est en effet issu de bactéries génétiquement modifiées. Le processus, détaillé par le Figaro, est assez simple : les bactéries sont entreposées dans des tubes de trois centimètres de diamètre qui servent de réacteur, remplis d’eau non potable et de CO2 issu d’activités industrielles ; exposées au soleil, elles exploitent la photosynthèse pour produire de l’éthanol ou du gazole.
On obtiendrait ainsi un carburant « vert », inépuisable et abordable.
« Ça ne sera pas l’arme fatale »
Selon Le Figaro :
« Le carburant e-éthanol […] aurait les mêmes propriétés chimiques que le bioéthanol déjà sur le marché. Mélangé avec 15% d’essence fossile, il pourrait alimenter les véhicules conçus pour fonctionner au superéthanol E85. Quant à l’e-diesel, […] il procurerait de meilleures performances » que le gazole d’origine fossile.
Mais David MacKay reste sceptique :
« Cela nécessiterait des installations de très grande taille [notamment pour être directement connecté à la source de CO2, ndlr]. Et l’efficacité de bactéries qui transforment le soleil en énergie, n’est pas aussi grande que celle des panneaux solaires.Si cela peut être réalisé à bas coût et que cela produit un combustible liquide, ce serait un atout intéressant. Dans tous les cas, ça ne sera pas l’arme fatale. »
Peut-être pas, mais les rendements sont impressionants, rappelle Le Figaro :
« Audi annonce 75 000 l/ha/an pour le e-éthanol, à comparer aux 7 000 l/ha/an de bioéthanol produit à partir de la betterave. Pour le e-diesel, le chiffre serait de 50 000 l/ha/an, contre 1 000 l/ha/an pour le biodiesel. »
La mise sur le marché est prévue en 2014 pour l’e-éthanol, en 2016 pour l’e-diesel, et le coût de production est estimé à 0,25 euro le litre dans les deux cas. Incroyable ? Une unité de fabrication est en construction dans l’Etat du Nouveau-Mexique.
5
Les éoliennes du futur
Une éolienne (No ; ² ; /Flickr/CC)
Sheerwind, une petite entreprise américaine, pense avoir trouvé la solution aux principaux problèmes que rencontre l’éolien : stockage, raccordement au réseau, production discontinue en raison de la variation du vent...
Fonctionnement d’Invelox (Capture d’é ; cran de Sheerwind)
Avec ces éoliennes en forme d’entonnoir, l’air est aspiré dans un conduit où sa vitesse est décuplée, avant de passer dans une turbine ou un générateur. Le nom du projet : Invelox, pour « increasing the velocity of the wind » (« augmenter la vitesse du vent »). Le rendement en termes d’énergie produite serait ainsi trois fois plus important qu’avec une éolienne classique, à vitesse de vent égale.
Ces éoliennes présenteraient d’autres avantages :
- le coût net par MWh produit serait 38% inférieur ;
- un vent de 3km/h suffit pour commencer à produire de l’électricité (contre 10 à 15 km/h avec une éolienne classique) ;
- la turbine étant basée au sol, elles sont beaucoup plus petites, ainsi que les pales (« la moitié de la taille, trois fois plus d’énergie », clame Sheerwind) ;
- elles permettraient d’éviter les nuisances liées aux vibrations des éoliennes pour les personnes vivant à proximité : maux de têtes, fatigue, vomissements.
Plusieurs travaux d’experts, qui ont modélisé la technologie Invelox, sont arrivés à des conclusions opposées. Selon la Technology Review du Massachusetts Institute of Technology :
« Le PDG Daryoush Allei explique que les tests initiaux sans la turbine ont montré un quasi-doublement de la vitesse du vent passant dans le mécanisme, comme prédit par les modélisations antérieures. Selon Allei, ils vont désormais installer la turbine et commencer à surveiller le rendement d’énergie produite. »
David MacKay, lui, n’en avait pas entendu parler : on lui a posé une colle. Mauvais signe ?
(http://www.rue89.com/rue89-planete/2012/12/19/energies-du-futur-nos-cinq-idees-folles-237880)
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